Antoine de Saint-Exupéry a une superbe plume. Il parvient à relier le récit de moments vécus et la retransmission de ses sentiments avec une poésie délicate. Il évite l'écueil des métaphores à outrance qui peuvent faire entrer le récit dans l'univers flou de la sensation. Il reste concret et exact.
Ce roman contient le récit de quelques épisodes, images de ce que vivaient les pilotes des premières heures, au moment où l'avion était à la fois la majesté de l'homme moderne, et une superbe machine de destruction de l'homme. Les premiers pilotes sont des explorateurs, des aventuriers, des hommes mus par la passion du progrès, à en perdre la vie.
Dans cet univers, la vie est fragile. Elle est remise en jeu à chaque décollage, et est savourée comme un miracle à chaque atterrissage réussi.
Dans ce contexte, la valeur de la vie prend une autre forme. Les amis de Saint-Exupéry se savent vulnérables. Des amis qui peuvent mourir à tout instant, qui sont peut-être déjà morts.
Terre des hommes est donc un lieu des contrastes, des extrêmes: c'est en les sachant au péril de leur vie que se transmet pour Saint-Exupéry l'amour qu'il porte à ses amis, et c'est en confrontant la solitude que lui apparaît la valeur des hommes.
La solitude est au centre du récit. Elle remplit par sa force le grand Sahara. Plongé dedans, Saint-Exupéry sent les hommes. Il les comprend d'autant mieux qu'il ne les voit pas - lorsqu'il est dans les airs ou au fond de l'oasis.
Se retransmet alors un grand humanisme - un amour pour les hommes, pour ce qu'ils sont, pour ce que nous sommes, des êtres mus par la passion de se retrouver, entre nous.
Trois années durant au Sahara, il plonge au coeur de son humanité, qui le relie et le rattache à ses proches. Ses proches, l'humanité toute entière. Il n'y a que ce lien qui le fait se lever, avancer, marcher.
Terre des hommes nous livre ses réflexions sur le travail, sur la responsabilité, sur la vie et la mort, sur la "vie véritable", sur le langage universel et sur la solitude. C'est un essai pour s'envoler, passer au-dessus, prendre le recul. Au-dessus de la Terre, il observe et voit des hommes, encore des hommes ; quelle beauté.
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Citations:
"Il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines."
"Dans un monde où la vie rejoint si bien la vie, où les fleurs dans le lit même du vent se mêlent aux fleurs, où le cygne connaît tous les cygnes, les hommes seuls bâtissent leur solitude."
"Ce n'est pas la distance qui mesure l'éloignement. Le mur d'un jardin de chez nous peut enfermer plus de secrets que le mur de Chine, et l'âme d'une petite fille est mieux protégée par le silence que ne le sont, par l'épaisseur des sables, les oasis sahariennes."
"Il possédait, puisqu'il était libre, les biens essentiels, le droit de se faire aimer, de marcher vers le nord ou le sud et de gagner son pain par son travail. A quoi bon cet argent... Alors qu'il éprouvant, comme on éprouve une faim profonde, le besoin d'être un homme parmi les hommes. Lié aux hommes."
"Tel est le désert. Un Coran, qui n'est qu'une règle du jeu, en change le sable en Empire. Au fond d'un Sahara qui serait vide, se joue une pièce secrète, qui remue les passions des hommes."
Le besoin d'être avec les hommes comme la sensation de soif.