Décadence généalogique assaisonnée au giallo

Voilà un roman protéiforme au découpage intelligent qui ne vous laisse pas indifférent. La force de Testament à l'anglaise,c'est le grand talent de conteur de Jonathan Coe qui a l'art de multiplier les points de vue pour donner du corps à une histoire. Tour à tour, il dépeindra chaque membre de cette odieuse famille Winshaw tout en décrivant avec maestria la situation politique anglaise avant son implication dans la première Guerre du Golfe qui vit l'Occident contrer Saddam Hussein au Koweit. Son personnage de Michaël Owen, faux naïf qui a cru un temps à sa sublime littéraire, est l'homme qui malgré lui, va déranger l'équilibre déjà instable d'une famille de bourgeois méprisants et puants pour la plupart,en acceptant une "commande" de biographie sur ses membres. Voilà pour la vue d'ensemble mais revenons sur l'intrigue principale ( qu'on perdra trés vite encours de route) où l'avion de Geoffrey Winshaw est abattu au cours de la deuxième guerre mondiale.C'est là que sa soeur Tabitha entre en scène et suspecte son frère Lawrence d'avoir précipiter la mort de son frère pilote. Ce point de départ,digne d'un giallo à l'Agatha Christie, va pourtant faire le "sous marin" pour resurgir ponctuellement. C'est là qu'on voit que Jonathan Coe est un romancier retors qui enfile des perles minutieusement mais ne finit jamais son collier pour repartir sur totalement autre chose à première vue.


A la variété des sous intrigues qui se croisent habilement s'ajoute le formidable agencement des mouvements des personnages qui finissent par se croiser ou se côtoyer dans des circonstances à priori fortuites mais si savamment calculées. Dans ce Coe, rien n'est anodin et tout finit par s'éclairer magistralement en quelques phrases brèves et fait dire au lecteur: mais quelle énorme machinerie!


Ce qui m'a un peu déçu sur ce roman reste son épilogue où le romancier se lâche au sens propre du terme. Même si sa mise en abyme avec les dix petits nègres de Christie au manoir Winshaw est véritablement subtile et vire au Cluedo grandeur nature à son paroxysme, je ne peux m'empêcher de penser que Jonathan Coe a trop joué sur la ficelle du Deus ex Machina, procédé où l'écrivain montre son omnipotence sur l'histoire et où les personnages deviennent des marionnettes aux actions complètement dingues par moments. Même si la décadence généalogique était annoncée dès les premières pages du livre, elle est finalement violente et je me suis demandé à quel point elle était méritée. La deuxième fin, ensuite lancée par Coe pour s'échapper pour de bon de cette histoire et des personnages qui restent, est tellement abrupte, démente et inattendue qu'on peut se demander s'il ne l'a pas écrite sous l'emprise de l'alcool (voire pire) tellement il bazarde son décor,met fin à toute logique raisonnable.Un ultime hommage à Geoffrey Winshaw? ;-)

Specliseur
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le 19 avr. 2016

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