Aux origines du mythe atlante.

Je n'ai lu ces deux discours que pour les passages sur l'Atlantide, mais je tenais à les lire dans leur intégralité, enfin dans l'intégralité de ce qu'il en reste, attendu que ces deux ouvrages étaient censés former une trilogie avec l'Hermocrate, mais que le Critias est très incomplet (on en a les 4 premières pages, disons) et l'Hermocrate soit fut perdue, soit ne fut jamais rédigé.

Le Timée commence par une allusion à un entretien précédent de Socrate avec quatre hôtes, mais le lendemain, seuls trois reviennent. La veille, Socrate a exposé son système politique idéal (celui de la République, puisque les Lois est postérieur). Le lendemain, ses hôtes viennent donner leur avis : ils ont aimé. Pour récompenser Platon, ils communiquent leur science. Timée va donc exposer sa théorie sur la création de l'univers. L'ouvrage n'est donc pas un dialogue socratique, mais un long exposé qui développe le mythe du démiurge, qui a créé le Même et le Changeant et a ordonné la matière à partir d'Idées, qui ont été plus ou moins bien copiées dans la matière par les dieux, sortes d'exécutants en second.

Le livre est un trésor pour alchimiste et amateurs d'ésotérisme. On y trouve une théorie des quatre éléments mélangé avec des concepts pythagoriciens étranges, qui partent du principe que la structure de la matière est composée de formes géométriques (carrés, triangles, etc..). C'est bête, on n'est pas passé loin d'une théorie des trois états de la matière, et l'axiome "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" semble déjà là, mais de manière implicite. Après s'être intéressé à la création des corps célestes dont la révolution marque le temps, on passe aux êtres vivants, et en particulier à l'homme. Si l'esprit est supérieur au corps, on détaille la théorie des humeurs. A noter que la métempsycose est évoquée, les hommes mauvais se réincarnant en femmes, voire pire.

Venons-en au Critias. Le fameux discours qui s'ouvre sur le mythe atlantide, que le début du Timée avait évoqué. Le mythe est censé être connu par des papyri que le grand-père de Critias aurait consulté et fait recopier auprès de grands prêtres égyptiens. L'Egypte apparaît comme le seul endroit épargné par les cataclysmes récurrents qui font revenir la civilisation à zéro. Le texte se donne beaucoup de mal pour donner des "indices de vraisemblances" à ce récit. Il est cependant assez évident qu'on a affaire à un récit merveilleux.

On a donc un continent au large du détroit de Gibraltar, qui aurait disparu dans un cataclysme, ce qui expliquerait que l'océan atlantique soit impraticable, et qui 7000 ans avant ce discours contrôlait tout le sud de la méditerranée par le biais d'une Thalassocratie. Mais le texte commence par décrire comment les dieux se sont répartis les mortels, et comment l'Atlantide échut à Poséidon, qui suscité cette île aux ressources inépuisables, dotée même d'une source chaude et d'une source froide (bref, tout confort). L'île est composée de trois cercles concentriques de canaux donnant sur la mer et couverts de très hauts plafonds, chaque cercle étant entouré d'une enceinte en or. Les métaux précieux émaillent les rues, à commencer par l'orichalque. Dix rois se partagent les districts avec un pouvoir absolu, mais régulièrement ils se réunissent au centre, sacrifient un taureau sur une colonne portant l'inscription des lois de Poséidon, et mélange son sang avec un caillot de leur sang avant de boire chacun dans un cratère en or. Cependant, toutes les richesses de la terre accourant dans leur cité sans effort, ces dirigeants s'éloignent de leurs valeurs d'origine et sombrent dans l'assouvissement sans remords de leurs désirs (chair et puissance), si bien que Zeus les réunit pour leur dire : ..... fin du discours. La suite devait comporter la guerre contre la vaillante Athènes, à l'époque petite puissance terrestre vertueuse.

Après lecture, je soutiens totalement la lecture de Vidal-Naquet : l'Atlantide est une allégorie de la démesure d'Athènes quand elle s'est voulue hégémonie maritime, et le combat avec la petite Athènes vaillante montre que la cité aurait dû s'en tenir à des idéaux frugaux liés au combat terrestre, sans chercher à contrôler toute la mer Egée. A cela s'ajoute un pastiche du récit des guerres médiques par Hérodote, l'Atlantide étant une version occidentale du grand ennemi venu d'Orient.

Devant la généalogie mythique des rois d'Atlantide, l'accumulation des détails merveilleux, les effets de style évidents pour donner au récit une apparence de réalité, on sent bien que l'on est dans un récit merveilleux qui rappelle les Histoires de Lucien de Samosate. Et après coup, on ne peut qu'être songeur devant la quantité de fantasmes que cette dizaine de pages à tout cassé à pu susciter.