De la critique de la tolérance

Puisqu'on se doit de commencer par définir les termes de la question avant de la discourir, mon cher Voltaire, vous m'obligez de vous rapporter à l'auteur de la Lettre sur la tolérance que vous estimez tant.

La tolérance, c'est la faculté de laisser circuler une potentialité nuisible qu'il serait possible d'empêcher. N'y a-t-il pas à cet égard dans la tolérance la plus ferme volonté de se nuire ? Qui serait assez idiot pour subir volontairement une idée, une personne dérangeante, c'est-à-dire qu'en disposant de toutes les forces nécessaires pour contraindre la gêne, l'individu trouverait à son déplaisir un honneur supérieur comme la douceur de la félicité pour justifier sa passivité.

Oh ! mais la bêtise est infiniment religieuse, l'observe-t-on dans les exemples cités par Voltaire dans la moitié de son oeuvre. L'autoflagellation, au sens propre comme au figuré, a toujours fait partie des dogmes fondamentaux de toute espèce de secte. D'ailleurs, on comprend assez mal le dessein de l'auteur dans son entreprise d'historicisation de la tolérance. Connait-on assez les passions du philosophe (à la lecture de son Dictionnaire philosophique) pour la théologie pour ne pas lui reprocher d'étaler toutes ses connaissances bibliques.

Il est assez malhonnête de rejeter la faute des conflits spéculatifs sur l'intolérance, il parait en effet cohérent de dire que c'est la tolérance qui est source du conflit en refusant d'intercéder pour l'une des opinions témoignées. En effet, la tolérance semble même complètement paradoxale tant elle se doit d'admettre l'intolérance pour cohérer. Il serait nécessaire de reformuler les caractéristiques de la tolérance ci-dessus, au lieu de volonté, il eût fallu entendre aboulie pour comprendre que la tolérance est l'apanage exclusif des hommes veules.

Connait-on de la nature quelque acte de tolérance ? Tant s'en faut ! La nature est impitoyable dans les accidents qu'elle provoque, et heureusement, évoluerait-on seulement dans un autre ordre des choses. De là, la raison qui n'est qu'une nature anthropocentrée serait bien dégénérée de prétendre pouvoir accorder plusieurs doctrines inconciliables ; surtout qu'en matière de foi, la raison n'a pas sa place, ne l'eût-on pas assez répété ?

Dans son traité, Voltaire n'a osé écrire qu'une page sur la nécessité de l'intolérance (chapitre XVIII), en la lisant, on ne comprend que trop bien pourquoi l'antithèse de toute une démonstration si longue tient en si peu de mots. Elle réfute absolument tout le principe de la tolérance.

il faut donc que les hommes commencent par n’être pas fanatiques pour mériter la tolérance.

Ainsi, autant demander aux hommes de ne plus être croyants pour leur laisser la liberté de croire.

C'en est déjà trop dit, les derniers mots iront pour la forme. Voltaire est un auteur méticuleux, les chapitres sont bien organisés, compréhensibles, annotés. Puisse-t-on lui reprocher sa narration fantaisiste de l'affaire Calas, mais la lecture en est toujours des plus agréables, quoique ce Voltaire fût plus ennuyeux qu'il ne fut distrayant dans son dictionnaire.