Un chant pour les humiliés et les oubliés, une prière pour celles qui brûlent sans qu’on les voie.

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Au commencement, il y a le feu.

Celui du bûcher, celui du ventre, celui de la langue.

Dans Trois fois la colère, Laurine Roux ne raconte pas une histoire : elle invoque un monde.

Un monde d’air glacé, de prières murmurées, de chair blessée. Les Alpes médiévales y deviennent une cathédrale de vent, un corps de pierre qui respire lentement sous la neige.


Gala, fille d’un homme injustement condamné, porte en elle la mémoire du feu.

Le texte la suit dans ce silence tordu, après la mort, après le viol, après la honte.

Et pourtant, il n’y a pas de pathos ici : seulement la densité du souffle, la gravité du geste.

Quand elle enfante trois fois — trois vies, trois malédictions — on comprend que la colère ne s’éteindra pas. Elle se transforme. Elle prend racine.


Laurine Roux écrit comme on taille une pierre : lentement, avec respect.

Ses phrases sont rugueuses, pleines d’air et de nuit.

Elles sentent la suie, la paille, le lait froid.

Chaque mot a une texture : on pourrait presque le toucher.

Dans cette prose resserrée, presque biblique, tout devient symbole — le vent, la neige, le sang, les yeux vairons d’Ephraïm.

Rien n’est gratuit, tout respire le sacré.


La lumière, chez Roux, n’éclaire pas : elle dévoile.

Elle tombe sur les visages comme un jugement, elle glisse sur les murs du prieuré, elle vacille dans la fumée du matin.

Le silence, lui, est un personnage entier.

Il sépare les vivants des morts, il habite le ventre des femmes, il se glisse entre deux phrases comme une menace ou une prière.


On pense à Sylvie Germain, à Jean Giono, à Tarkovski — pour cette façon de mêler la terre et le mystique, la faute et la lumière.

Mais Roux, elle, ne cherche pas l’épure : elle cherche la ferveur.

Elle écrit au bord de la blessure, sans jamais s’y complaire.


Trois fois la colère est un roman de matière et de souffle.

Un récit âpre, charnel, presque primitif, où chaque page semble sortie d’un feu ancien.

On lit, et l’air devient plus dense, plus lourd, comme chargé de cendres et de secrets.

On lit, et quelque chose en nous se fissure — cette part muette qui sait encore ce que veut dire survivre.


C’est un texte habité, traversé, incandescent.

Une œuvre de lenteur, de douleur, de beauté pure.

Un chant pour les humiliés et les oubliés,

une prière pour celles qui brûlent sans qu’on les voie.


Et quand vient la dernière phrase, on se rend compte qu’il ne reste presque rien — sinon une trace, une lueur, un goût métallique sur la langue.

La colère, oui.

Mais aussi la vie.

Trois fois.


Ma note : 18 / 20


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Le-General
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le 13 oct. 2025

Critique lue 26 fois

Le-Général

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