Ulysse
7.7
Ulysse

livre de James Joyce (1922)

Alleluia. Pour un cours pris à la fac, j’ai lu Ulysses. De bout en bout. Ce que je n'aurais probablement jamais fait sans ce cours. Soyons clair : Ulysses n’est pas une lecture pour le plaisir. C’est parfois une véritable torture. Mais après avoir voyagé dans Dublin avec Stephen, Leopold et Molly, on est un brin changé, tout de même.


Les premiers chapitres sont à peu près lisibles. On découvre Stephen Dedalus, un étudiant fauché et hanté par diverses pensées métaphysiques. Puis Bloom, un homme plutôt préoccupé par les plaisirs de la chair, obsédé par la nourriture et par la possibilité d’une relation adultérine. Mais très vite, Joyce devient complètement fou et le livre se transforme en une série d’exercices stylistiques souvent très difficiles à lire. Quelques exemples des élucubrations stylistiques du monsieur.. Le chapitre 7, écrit avec des « headlines » totalement absurdes, qui parodie le milieu journalistique. Le chapitre 13, écrit à la manière d’un roman sentimental pour adolescentes. Le chapitre 15, pièce de théâtre complètement délirante, incroyablement compliquée, qui pourrait donner du travail à des chercheurs pendant à peu près 1000 ans. Le chapitre 17, uniquement composé de questions/réponses, qui n’éclairent en rien le « sens » du livre. Bref, Joyce s’amuse. Il paraît d’ailleurs que sa femme Nora l’entendait régulièrement se marrer alors qu’il écrivait ce roman. Ulysses est effectivement un livre très drôle, bourré de jeux de mots, de parodies incessantes. Heureusement qu’il est drôle d’ailleurs, sinon personne ne le lirait.


Le passage le plus impressionnant du livre est probablement le dernier chapitre. Le fameux monologue de Molly, écrit sans aucune ponctuation. Au fur et à mesure, on se laisse bercer les pensées incongrues de Molly, où le sublime côtoie constamment l’obscène et le vulgaire. Elle se remémore ses anciens amants, la naissance de sa fille, déplore la place de la femme dans la société de son époque ainsi que l'hypocrisie religieuse, le tout avec des mots extrêmement crus. Tous les personnages du roman se retrouvent évoqués dans ce chapitre, ainsi que les principaux motifs. En une cinquantaine de page, le propos et "l'intrigue" d'Ulysses sont condensés et racontés cette fois-ci par une femme. Dans ce flux de pensées que l'on pourrait qualifier de féministe, Joyce laisse enfin la parole à celle qui a souvent été critiquée dans le roman et donne une réponse grandiose à la misogynie de Leopold et de ses comparses. Comme l'a dit mon prof de litté à ce propos: ‘I’m absolutely in love with Molly Bloom’ Je crois qu'on est tous un peu amoureux de Molly... Un des plus beaux passages littéraires que j'ai lu dans ma petite vie !


Il y a quelque chose de profondément original et déroutant dans ce livre : la volonté de tout dire, tout décrire, même les choses les plus prosaïques Joyce n’hésite pas à décrire Dedalus qui urine, Bloom qui se masturbe devant une jeune fille exhibitionniste, Molly qui parle très crûment de ses pets, de ses relations sexuelles ou de ses règles. On voit rarement cela dans des romans. A cela s’ajoutent des blasphèmes en tout genre, très osés de la part d’un écrivain venant d’un pays aussi religieux que l'Irlande. Joyce ose tout et on se demande jusqu’où il peut aller dans ses délires. On comprend aisément pourquoi ce livre a tant fait scandale.


Je ne pense pas qu’on puisse dire que Ulysses est un « beau » livre. Certes, certains passages sont vraiment très poétiques et émouvants, mais en général assez courts. Très vite, Joyce reprend sa logorrhée verbale et perd intentionnellement le lecteur. Ulysses ne se réduit pas à cet adjectif. C’est ce qui fait la force de ce livre, d’échapper à toute définition.


Assurément, ce n’est pas un livre qu’on lit pour se détendre après une journée de travail. Mais pour l’analyse littéraire, c’est un régal. Bourré de références: Platon, Aristote, La Bible, l’Odyssée évidemment, St Thomas d’Aquin, Shakespeare, Dante, Byron, ils sont tous là. Sur un plan purement réflexif: de nombreuses méditations sur l’histoire, le nationalisme, l’Irlande, l’Angleterre, la paternité, l’adultère, le métier d’écrivain, le sexe, l’amour, la jeunesse, l'enfantement, la mort. Jamais didactique, toujours fragmentaire, mystérieux. Chacun doit essayer d’y trouver son propre sens.


On s’attache aux personnages, qui sont d’une complexité psychologique assez fascinante. On en apprend petit à petit sur eux. Ma préférence va à Leopold Bloom, ce « scientifique », ce père de substitution pour Stephen, hanté par la mort de son fils Rudy.


Je ne sais honnêtement pas si j’ai aimé ce livre. J’ai apprécié l’étudier, le décortiquer, écrire à son propos, car c’est une source infinie d’interprétations. Je pense qu’il faut le laisser un peu mûrir dans son esprit, le lire à différentes périodes de sa vie. Ma note ne veut strictement rien dire, j'aurais pu lui mettre 1 comme 10. En tout cas, Ulysses est à la hauteur de sa réputation.


Pour finir, un de mes passages préférés de l'ouvrage...


Chapitre 17


“What special affinities appeared to him to exist between the moon and woman?


Her antiquity in preceding and surviving successive tellurian generations: her nocturnal predominance: her satellitic dependence: her luminary reflection: her constancy under all her phases, rising, and setting by her appointed times, waxing and waning: the forced invariability of her aspect: her indeterminate response to inaffirmative interrogation: her potency over effluent and refluent waters: her power to enamour, to mortify, to invest with beauty, to render insane, to incite to and aid delinquency: the tranquil inscrutability of her visage: the terribility of her isolated dominant implacable resplendent propinquity: her omens of tempest and of calm: the stimulation of her light, her motion and her presence: the admonition of her craters, her arid seas, her silence: her splendour, when visible: her attraction, when invisible."

Clairette02

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8
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