Christine Angot, c’est un peu la perfection incarnée. Christine Angot, c’est la plus intelligente. Christine Angot, c’est la plus cultivée. Christine Angot, c’est la plus aimante. Christine Angot, c’est la plus extraordinaire. Christine Angot, c’est le centre du monde. Enfin, ça, c’est ce que Christine Angot semble croire. C’est en tous cas ce dont elle semble vouloir – consciemment ou non – convaincre son lecteur.


Comme tout le monde, jusqu’à mars dernier, je ne connaissais Christine Angot que de nom. Je savais juste qu’elle se revendiquait auteur, mais j’étais incapable de citer le nom d’un seul de ses ouvrages. Mais tout a changé le 23 mars 2017, jour où elle a failli réussir à balayer deux mois de propagande électorale médiatique en 10 minutes d’apparition sur France 2. 10 minutes durant lesquelles elle agressa verbalement un François Fillon qui n’avait rien demandé, mais qui était bien content de gagner des voix au fur et à mesure que la harpie hystérique qui hurlait en face de lui perdait en crédibilité.
On sait que, la presse ayant repris le dessus, Mme Angot ne fit finalement pas gagner François Fillon aux élections, mais depuis ce jour, elle reste dans la mémoire de bon nombre de téléspectateurs – ceux qui aiment bien rire un bon coup devant leur écran – comme l’arme secrète de Fillon, ou bien pour reprendre l’expression assez parlante de Nicolas Canteloup, la « zinzin de Pujadas »… Etant donné que depuis septembre dernier, Mme Angot est devenue chroniqueuse chez Laurent Ruquier, on est au moins assurés d’avoir grâce à France 2 un bon gros fou rire régulier. On notera que Mme Angot n’a d’ailleurs pas attendu longtemps pour refaire des siennes, son dernier fait d’armes datant justement du mois même de sa rentrée télévisuelle…


Tout le monde connaît donc le visage et la voix de Christine Angot mais personne n’a jamais mis le nez dans ses écrits. C’est un fait, et un fait particulièrement éloquent. En effet, il illustre à merveille la déchéance du monde littéraire français contemporain. Car aujourd’hui, ce n’est plus l’art qui compte, c’est l’artiste, mettant à mal la si belle maxime d’Oscar Wilde : « Révéler l’art et cacher l’artiste, tel est le but de l’art. » Aujourd’hui, seul le nom importe, seul le visage compte. Si un artiste est connu du public, peu importe son œuvre. En cela, Christine Angot est très moderne. On connaît son nom, son visage, son discours. C’est tout. Mais pour notre époque, cela suffit. Nul besoin de savoir si elle est un bon ou un mauvais écrivain. Elle est une personnalité qui se montre.
Evidemment, à moi, cela n’a pas suffi, et il m’a paru naturel, pour tenter de comprendre Mme Angot, de me plonger dans sa littérature. Sans critères particuliers, c’est sur son dernier ouvrage en date, Un Amour impossible, que mon choix s’est arrêté. Et après lecture, c’est peu dire que le bilan est accablant. Le livre est à l’image de son auteur : bavard, vain, ennuyeux, masturbatoire, plein d’une autosatisfaction désespérante, et surtout dénué de tout style.


Un Amour impossible n’est pas un roman. Ça n’est pas non plus une autobiographie, ni une autofiction, puisque visiblement l’auteur refuse ces appellations. Disons que c’est du Christine Angot. C’est si nul que cela suffit sans doute à en faire un genre littéraire à part. Ce livre a toutes les apparences de l’autobiographie : Christine Angot y évoque ses parents et se met elle-même en scène sans modifier les noms, et elle raconte des faits crédibles, a priori réels. On imagine toutefois sans peine que les dialogues sont de son cru, à moins qu’elle se soit baladé toute sa vie durant avec un magnétophone en poche. Et c’est là que le livre commence à pécher : les dialogues sont écrits avec les pieds. Et quand je dis « avec les pieds », ça ne relève même plus de la métaphore ! Aucun dialogue ne sonne juste. On croirait voir des robots recracher le texte qu’on a injecté dans leur mémoire électronique, sans aucun sentiment. Et pourtant, ce sont peut-être ces dialogues les moments les plus supportables de cette œuvre, la narration s’avérant d’une absence de recherche encore plus effarante.
Entendons-nous bien, je ne m’attendais pas à découvrir du Dumas en découvrant ce livre. Mais j’espérais y trouver un texte un peu plus évolué qu’une dissertation de sixième… Or, c’est exactement ce que j’ai eu l’impression de lire. Mme Angot aligne un sujet, un verbe et un complément, et elle est toute contente d’avoir fait une phrase, sans même se soucier de savoir si l’on peut appeler cela de la littérature. On pourrait être tenté de se dire : « Bah, elle a cherché à transcrire à l’écrit un style oral… ». Mais non, tentez l’exercice : lisez un passage à voix haute. Ça ne donne rien non plus. Ce n’est pas que c’est un mauvais style, c’est qu’il n’y a tout simplement aucun style. C’est bien beau d’accuser la femme des autres d’emploi fictif, mais quand on est soi-même incapable de fournir le moindre effort pour faire son boulot, on évite de se la ramener...


Qu’il n’y ait aucun style, c’est donc une faute, et pour quelqu’un qui se prétend écrivain, c’est déjà une faute assez grave. Mais en plus de cela, Mme Angot n’a rien à raconter. Son livre n’est qu’une succession de scènes, parfois sans aucun lien entre elles, qui ne brille la plupart du temps que par leur absence totale d’intérêt. On a bien vaguement une intrigue globale qui se dégage de ce gloubi-boulga informe de mots, mais qui se résume en quelques lignes, dont le style littéraire égale à peu de choses près celui de Mme Angot :
Pierre et Rachel s’aiment. Pierre refuse de se marier, mais accepte d’avoir un enfant. Pierre quitte Rachel. Rachel donne naissance à une petite Christine. Christine grandit avec sa mère. Christine découvre son père. Elle passe beaucoup de temps avec lui. Rachel découvre que Pierre a des relations sexuelles avec sa fille. Elle ne fait rien. Christine ne veut plus voir son père. Elle se dispute avec sa mère. Christine devient adulte. Elle se réconcilie avec sa mère.
Quand on y pense, une telle absence de matière serait excusable si cela était raconté avec un style un peu réfléchi. Mais non, on est dans un cercle terriblement vicieux : l’absence de matière nous fait remarquer l’absence de style, qui met en valeur l’absence de matière, qui elle-même nous renvoie à l’absence de style, etc… Le bilan est simple : Un Amour impossible est un livre vide. C’est le néant. Le néant d’un auteur sans inspiration et sans style. Le néant d’une vie sans intérêt. Le néant d’une femme qui n’a jamais bâti la moindre relation affective avec son entourage.


Il faut toutefois reconnaître qu’il arrive que l’on s’attache un tout petit peu à Rachel, la mère de Christine. Certaines fois, le personnage s’émancipe suffisamment du contrôle de l’auteur pour que le lecteur ressente une certaine empathie envers un personnage qui aurait été captivant entre les mains de n’importe quel véritable écrivain. Rachel reflète finalement un peu le lecteur : elle donne de son temps à Christine, mais Christine ne le lui rend jamais. Au mieux, Christine l’assomme parfois de « maman, je t’aime », qui donne plus l’impression que cette dernière se parle à elle-même, elle embrasse parfois sa mère selon un rituel précis qu’elle est toute fière d’avoir inventée, se valorisant à la place d’une mère constamment reléguée à la seconde place. Rachel a vécu une vie de misère, et on aurait aimé pouvoir l’en plaindre. Mais à chaque fois que l’on réussit à adopter un regard compatissant envers cette femme qui subit toute sa vie durant l’égoïsme d’un homme narcissique, Christine Angot nous barre la route. Elle se met en travers de notre chemin, afin de nous empêcher de donner notre pitié à quelqu’un d’autre qu’elle. Seulement, tout ce qu’on ressent envers Mme Angot, c’est du dégoût. Christine Angot s’aime, mais elle n’aime pas son lecteur. C’est peut-être là tout le problème de l’auteur : Mme Angot est une femme incapable d’aimer.


Et finalement, lorsqu’on sort d’Un Amour impossible, on se sent dans la peau du naturaliste qui a trouvé une nouvelle malformation qu’on dirait spécialement créée par la nature pour qu’il puisse l’empailler et lui donner une place de choix dans son musée des horreurs, juste entre un Cyril Hanouna et un Justin Bieber. Au moins, au niveau intellectuel, Christine Angot ne se sentira pas perdue.

Tonto
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le 3 nov. 2017

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