Ceux qui connaissent l'auteur feront tout de suite le lien avec Histoire de ta bêtise, essai dans lequel il s'attaque avec véhémence à la bourgeoisie cool, car nous avons là le portrait ultra réaliste d'une famille de cette classe. La famille Legendre, comme elle s'appelle, a en effet toutes les caractéristiques qui y sont propres : elle pratique le yoga, mange bio, compte ses pas, vit entouré d'objets connectés, etc. Leur monde est polissé par un ensemble de petites règles établies pour obtenir une apparence de paix. La mère joue un grand rôle là-dedans. Brune, donc, qui travaille dans la communication de crise manage la famille pour éviter toute vague et tout remous et les échanges familiaux sont formalisés pour aller toujours à l'apaisement. Le père, Emmanuel, travaille lui dans la finance. C'est lui le narrateur. Malgré sa volonté d'être « cool », Emmanuel est toujours dans le contrôle (la météo, son nombre de pas, son couple, ses enfants, etc.) et est une personne très imbue d'elle-même (toujours dans la performance, même en vacances). Ils ont une fille et un fils, Justine et Louis. La première est très en avance scolairement et on l'entend parler en anglais tout au long de l'histoire, tandis que Louis, 6 ans, fait lui un blocage sur la lecture au grand dam de ses parents.
Un enlèvement se déroule pendant les vacances, dans une station balnéaire, à Royan. Nous y suivons à travers les yeux du père différentes scènes de leur vie. Incisif, François Bégaudeau nous livre parfaitement tout le ridicule de nombreuses des situations de leur vie : les moments où il décrit très précisément l'usage de tel ou tel objet connecté peuvent même irriter les plus susceptibles mais le moment où Emmanuel voudra jeter ses yaourts non-bio sous les yeux de deux Roms qui font les poubelles accorde tout le monde. Nous voyons que dans la bourgeoisie, tout le monde joue un rôle.
François Bégaudeau utilise à merveille le discours indirect libre et parvient à nous faire passer d'une scène à l'autre, d'un registre à l'autre sans que nous ne nous en apercevions. Et il faut l'aimer car ce n'est pas l'intrigue qui fait tourner les pages. Il y a bien un enlèvement dans l'histoire, celui du petit Théo, fils d'un riche entrepreneur local, mais elle passe en arrière-plan. A tel point que nous pouvons nous demander s'il s'agit de cet enlèvement dont parle le titre.
L'enlèvement peut être celui de Louis de la famille. Il est en effet réfractaire de ce milieu de non-dits, de secrets et de trahisons. Beaucoup de critiques reprochent au livre de faire du refus de l'apprentissage de la lecture par Louis, un acte d'émancipation.


Ici vous pouvez spoiler
Toutefois on observe que Louis communique par écrit à un moment


 ; ce n'est donc pas un refus de la lecture. Il doit plutôt s'agir d'un refus de communiquer avec ce monde. Le corps de Louis ne veut pas rentrer dans ce carcan.
François Bégaudeau a récemment répondu à un entretien organisé par l'association Droit-Philosophie Lyon III intitulé : « Peut-on s'émanciper de ses déterminismes ? ». Cet entretien m'a beaucoup aidé à comprendre la fin du livre qui peut paraître bien troublante. La question qui se pose dans les dernières œuvres de l'auteur est : comment passe-t-on d'un état social à l'autre ? Dans En guerre, Paul Kremer, un grand patron, se délaisse de tous ses biens suite à une conversion mystique. Pour François Bégaudeau, la révélation religieuse semble être une des seules manières de basculer. Dans Un enlèvement, cette révélation religieuse n'est pas nette - la fin d'ailleurs est assez floue, on ne sait pas très bien ce qu'il s'y passe – mais Louis et Théo prient. Bégaudeau, même s'il a déjà indiqué ne pas forcément être dans la recherche de solutions toutes faites, semblent vouloir chercher des pistes vers l'émancipation et son dernier documentaire : Autonomes, sorti en 2020, semble allez dans ce sens.

Fran_Gaut
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le 10 mars 2021

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