Il est assez délectable d'imaginer la stupeur du lecteur qui ferait connaissance avec le style de Maylis de Kerangal dès la première phrase d'Un monde à portée de main : longue, sinueuse, et pourtant rapide et précise. La manière de la romancière est particulière et surprend encore même ceux qui l'ont apprivoisée dans ses opus antérieurs : Réparer les vivants ou Naissance d'un pont voire même Corniche Kennedy. Ce style est marqué par des phrases amples, des effets d'accumulation, une surabondance de termes techniques mais aussi parfois par l'usage de mots à la mode (exfiltrer, par exemple, qui revient à plusieurs reprises dans Un monde à portée de main). Une langue qui enthousiasme ou qui rebute mais qui, en définitive, laisse rarement indifférent. Malheureusement, il y a ce sentiment, déjà perceptible dans ses deux romans précédents, que l'écriture originale et sophistiquée de Maylis de Kerangal finit par l'emporter sur le contenu de ses livres. Ce qui était davantage vrai dans Naissance d'un pont que dans Réparer les vivants, le sujet de ce dernier livre étant tellement fort et chargé en émotion. Ce sentiment (qui ne sera sans doute pas partagé par l'ensemble de ses lecteurs) affleure à nouveau dans son dernier livre alors, pourtant, qu'il ne s'agit pas cette fois-ci d'une oeuvre chorale mais bien davantage centrée sur le parcours d'une seule personne, dans sa formation puis ses premières expériences professionnelles et sentimentales. A mi-chemin entre l'artisanat et l'artistique, Paula a choisi le métier de peintre de décors, qui l'enverra de Moscou à Lascaux, en passant par Cinecitta. La dernière partie du livre, qui raconte Lascaux IV, est de loin la plus déliée et la plus captivante, peut-être parce que Paula y connait une véritable épiphanie quant à sa place dans le monde. Auparavant, dans la description de l'envers du décor et dans l'itinéraire de cette héroïne pourtant attachante, il faut parfois s'accrocher pour résister à cette prose qui a tendance à recouvrir le lecteur voire à l'immerger sous un flot d'informations parfois détaillées à l'extrême. Un monde à portée de main n'est pas à proprement parler difficile d'accès mais suggérons que c'est un livre, de par son thème et son traitement, qui ne semble pas aussi fédérateur que Réparer les vivants.

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le 27 août 2018

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