Un rude hiver est un court roman publié par Queneau à la NRF en 1939. Situant son action au milieu de la première guerre mondiale, à l'hiver 1916, il met en scène Bernard Lehameau, un jeune veuf démobilisé pour une blessure à la jambe qui erre dans les rues du Havre en épuisant son pessimisme dans l'attente de la fin de sa convalescence. Avec le style enlevé et direct, argotique sans excès, qui caractérise souvent la prose de Queneau, le roman alterne entre le réalisme et le psychologique pour peindre l'ambiance qui pèse « à l'arrière » au plus fort des doutes quant à l'issue du conflit.


Ce rude hiver est une merveille de sensibilité et de précision. Queneau réalise avec ce roman l'exemple parfait de ces innombrables petits chefs-d’œuvre qui parsèment le premier XXe français : des œuvres très simples, profondes sans aucun effet de manche, à l'efficacité irréprochable pour créer un cadre crédible et attractif, avec une économie de moyen incroyable. Dans ce qui s'apparente à ce qu'il faudrait appeler un roman de situation, l'auteur brosse avec son héros le portrait touchant mais sans mélo d'un jeune veuf dépressif et errant, sardonique sans affectation, aux actes étranges voire répugnants, mais terriblement propice à créer l'empathie pour sa souffrance retenue et son besoin de croire en l'amour, parasité par les désirs humains misérables qui l'habitent nécessairement.


Bernard Lehameau représente, dans sa tragédie personnelle, une sorte de métonymie d'une société française en proie à la rupture et qui ne se comprend plus, déchirée entre ses traîtres, ses profiteurs, ses lâches, ses miséreux, que l'on voit évoluer en parallèle du personnage dans les brumes des quais du Havre.


Pour structurer cette errance à la poésie fugace et brève, la possibilité de l'amour s'esquisse à travers différentes figures connues du personnel romanesque français : sera-ce la jeune Anglaise réservée, l'adolescente mûrie trop tôt, ou la demi-mondaine aux commerces incessants ? Ce qui est sûr, c'est que dehors, dans les rues tortueuses et calvadées de la Normandie, la neige continue de tomber par paquets abondants et la guerre se profile sans pouvoir espérer jamais la repousser éternellement.


Se lit d'une traite, comme un amour irréalisé qui passe trop vite. Indispensable pour les amateurs du réalisme poétique au cinéma.

S_Gauthier
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le 1 mai 2022

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