Un rude hiver
7.8
Un rude hiver

livre de Raymond Queneau (1939)

Ma première expérience avec Queneau, et toujours dans cette optique d’explorer la Première Guerre mondiale, même si Un rude hiver n’a rien à voir avec les grands récits de tranchées. On est ici dans un roman de l’arrière, plus proche du Sang noir de Guilloux, sans être tout à fait comparable.


Le récit paraît simple au premier abord : dans le Havre de l’hiver 1916, un homme aigri, blessé et hanté par la mort de sa femme et de sa mère dans un incendie, erre dans la rancune et le désespoir. Bernard Lehameau déteste tout, s’enferme dans son amertume, jusqu’à connaître une forme d’épiphanie : treize ans après le drame, il retrouve l’amour, guérit de sa jambe, et peut enfin “retourner à la guerre” autrement dit, reprendre vie. Mais derrière cette trame linéaire se cache un roman bien plus complexe, chargé de symboles et d’échos autobiographiques : l’incendie qui coïncide avec la date de naissance de Queneau, les opinions du père qui transparaissent, l’âge du héros (33 ans) au parfum christique, ou encore cette relation ambivalente avec Madeleine, la sœur de sa fiancée, qui semble assister à une véritable résurrection. On y croise aussi des réminiscences d’Hamlet, et sans doute bien d’autres références que j’ai laissées filer.


Le style est déroutant au départ : dialogues à l’anglaise rendus phonétiquement, répétitions à foison, tournures familières, mais tout cela contribue à créer un rythme, une musicalité propre à Queneau. On prend plaisir à suivre Bernard, cynique et mélancolique, déambulant dans les rues du Havre et reflétant l’atmosphère grise, poisseuse, d’un pays en attente.


Enfin, il faut rappeler que le roman paraît pendant la “drôle de guerre”, à l’hiver 1939, et ce contexte d’attente, de lassitude, d’impuissance face à la guerre, colore nécessairement le récit. On y lit déjà le désenchantement d’une époque qui se prépare à revivre le pire sans plus y croire.


En somme, Un rude hiver est un roman singulier : drôle, amer, inclassable. Sous des dehors simples, il cache une profondeur symbolique et une ironie douce-amère qui en font une œuvre à la fois déroutante et attachante.

Gilead
7
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le 25 oct. 2025

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