Si comme toujours chez Maupassant, la lecture est plutôt limpide, j'ai globalement trouvé l'écriture un peu détachée, ayant du mal à donner corps à ses personnages. L'écriture ne laissant finalement que peu de place aux dialogues, tout étant rapporté par le narrateur, on a la ferme impression que celui-ci omnipotent a finalement pris le pas sur l'héroïne, empêchant celle-ci de véritablement rendre compte de ses sentiments et pensées.
Les personnages sont d'ailleurs souvent assez grossiers (le fils qui quémande de l'argent dans toutes ses lettres, ou cette pitoyable tante dont la narrateur ne cesse de rappeler son inutile présence), ou carrément flirtant avec le fantastique (le comte capable de saisir à plein bras une cabane de paysan, de la mettre sur roulette et de la faire dévaler une falaise sans qu'on comprenne exactement comment). Je pense aussi à ce moment ubuesque où le nouveau curé, saute sur une pauvre chienne en train d'accoucher. On a connu plus fin pour nous dépeindre un personnage antipathique.
Tous les personnages sont assez insupportables, Jeanne en première position. Si au début on peut être attendri par cette jeune femme pleine de rêves, et si on peut ressentir un peu de pitié au début de ses déboires, on s'agace très vite de son attitude constante de victime qui se laisse complètement manger par les évènements, passant son temps à pleurer et à se plaindre. Car jamais elle n'essaiera de changer véritablement quelque chose, obsédée par des vieux rêves ou par son amour au-delà du cucul la praline pour son fils ingrat. L'un des seuls personnages qui sauve cette galerie de gens imbuvables est Rosalie, femme forte (qui est la vraie héroïne du roman dans mon coeur) et qui vient rappeler gentiment à Jeanne à la fin du roman que sa vie de noble héritière oisive était plutôt confortable comparée à celle d'autres gens qui vivent toute leur vie dans la misère. J'ai également plutôt apprécié le personnage du baron, aimant, fantasque et cultivé (bien que noble oisif et pas bon à grand chose tout de même).
Les nombreuses ellipses m'ont souvent sorti du récit nous baladant d'un endroit ou d'une année à l'autre, sans nous laisser vraiment le temps de bien nous repérer et de s'imaginer les endroits. Le passage en Corse et en Italie était par exemple particulièrement vite expédié. La fin en revanche est très belle, contrebalançant cette vie de malheur à la limite du grotesque et apportant une touche d'espoir assez bienvenue.
Au final, Une Vie réussit tout de même son entreprise ambitieuse de couvrir une vie en à peine 300 pages sans jamais ennuyer, et disposant savamment les rebondissements pour tenir en haleine (les tromperies du mari, les morts de certains personnages, les voyages...). Mais je lui trouve tout de même un côté maladroit et un peu grossier comparé à un livre comme Pierre et Jean, plus petit par son ambition mais beaucoup plus réussi dans son approche des personnages selon moi. Ainsi, si Une vie ne m'a jamais réellement ennuyé, le peu d'intérêt pour son héroïne et la succession d'évènements à la va-vite, m'empêcheront de garder un souvenir impérissable de ce roman.