J'ai commencé à m'intéresser à Élisabeth Borne lorsqu'elle a été nommée Première ministre en 2022, après la réélection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République. Je trouvais que cette nomination était une bonne chose tant son profil me semblait approprié. Ingénieure des ponts, passée par l'École polytechnique, avec ce pédigrée, on sait que l'on a face à nous une personne brillante. Et plus je l'ai vue évoluer à Matignon, plus je l'ai appréciée, surtout dans la situation périlleuse de majorité relative lors de la XVIᵉ législature. Pondérée, réfléchie, rigoureuse, Élisabeth Borne avait bien des qualités qui convenaient à sa fonction. Mais patatras ! En janvier 2024, le président a décidé de la congédier sans autre forme de procès, après l'adoption douloureuse de la loi immigration fin 2023.


Cette décision m'avait laissé dans l'incompréhension, d'autant plus que son remplaçant avait un CV bien moins étoffé. J'ai donc accueilli avec curiosité ce livre, Vingt mois à Matignon, où Madame Borne livrait sa version des faits.


Et la lecture de cet ouvrage m'a étonné. En le commençant, je considérais son éviction comme une injustice ; en le refermant, j'étais d'avis qu'il s'agissait de la bonne décision.


Le Premier ministre gère des crises, constamment : c'est le job. Élisabeth Borne ne le cache pas et nous plonge dans l'action, en employant un style austère, sans emphase mais efficace. Mais malgré ce style sobre, elle agace par ses états d'âme constants. Souvent, les constats sont justes, mais les propositions absentes. Elle nous livre des phrases toutes faites qui sont pertinentes mais qui ne mènent nulle part. Quand elle dit que la France doit cesser de se dénigrer car elle parvient à de grandes choses, ce discours ne porte pas. De même, quand elle affirme que l'Union européenne est une chance, elle n'amène rien de nouveau au débat ni à ce consensus dans son camp politique. Pire, elle préconise même parfois des mesures hors-sol, comme le retour du cumul des mandats… Ou encore lorsqu'elle évoque son passage au ministère des Transports, où elle fait part d'un désaccord sur le développement des grandes infrastructures. Elle rappelle par exemple les réserves qu'elle avait émises lors de l'inauguration de la ligne à grande vitesse Paris-Bordeaux à l'été 2017, épisode qu'elle aurait mieux fait de taire et de laisser oublier.


On apprécie cependant le récit de ses négociations avec les divers présidents de groupe de l'Assemblée nationale et la différence qu'on y trouve avec leurs déclarations publiques. On remarque également une certaine frustration dans sa pratique du pouvoir. Elle compare à un moment la position du Premier ministre à celle d'un chef d'entreprise sans contrôle de gestion, qui doit opérer à l'aveugle.


Mais ce qui m'a le plus étonné, ce sont ses constantes envies de démission, qui jalonnent le livre, notamment après l'épisode des émeutes de l'été 2023. À de nombreuses reprises au cours de son passage à Matignon, elle a fait part de velléités de départ au président, pour des motifs divers et variés, ce qui a fini par aboutir à son éviction à un moment étonnant. Mais en montrant autant de signes de fragilité, cela ne pouvait pas finir autrement.


À la lecture de ce livre, tout de même, on découvre une femme résolument de gauche (oui, vraiment, totalement dans la ligne écolo), mais aussi pragmatique et réaliste. On apprend l'histoire de sa famille, de sa jeunesse. C'est une femme qui ne s'en laisse pas conter mais qui, parfois, cède aussi à un certain fatalisme. Ce qui est étonnant pour une personne qui sait aussi être résiliente. Élisabeth Borne est un paradoxe. Mais je gage qu'on conservera d'elle tout de même un bon souvenir.

Andika
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le 10 janv. 2025

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