Après l’improvisation finale en crescendo vers l’aigu de l’orchestre symphonique, un ultime accord synchrone de quatre pianos et harmonium clôt ensemble, sur une longue séquence de quarante secondes, cette journée de vie, apaisement final du sommeil et du rêve qui s’annoncent ; ou, dans cette note en écho qui s’affaiblit pour s’éteindre enfin, comme une métaphore de notre finitude, la disparition inéluctable que la destinée pour tout être, inexorablement, accomplit en point d’orgue.
Car les deux parties de cette double chanson, d’une durée inédite de 5 minutes 30, qui enchâsse la composition de Paul Mac Cartney « Woke up, fell out of bed, Me suis réveillé, tombé du lit, etc. » dans celle de John Lennon, exploit inédit musical et technique, reliées entre elles par le maelström des instruments symphoniques, va bien au-delà de la simple lecture des derniers faits-divers des journaux et de la routine des jours qui fuient.
C’est en fait une réécriture du monde - le rôle de toute poésie - par l’inventaire de nouvelles sans rapport entre elles, en une mécanique automatique, cadavre exquis des Surréalistes, qui atteint son summum avec « Now they know how many holes it takes to fill the Albert Hall, Maintenant, ils savent combien il faut de trous pour remplir l’Albert Hall ». Ou avec l’incise inattendue « I'd like to turn you on, J’adorerais t’exciter », double allusion au désir du sexe et à la prise de drogue.
Le subtil arrangement de la mélodie propulse en outre ces récits du quotidien dans une dimension fantastique. Simple accord apaisant de guitare de l’attaque de Lennon, accompagné d’un piano et de la rythmique discrète de Ringo Starr à la batterie puis du chœur du quatuor des Beatles, Fabulous Four ; et dans le sertissage de la seconde partie, l’accélération haletante d’un Mac Cartney pressé et en retard qui se termine par le retour de Lennon, l’improvisation désordonnée du grand orchestre et la longue tenue d’une note dans un final d’exception.
« Quelqu'un qui n'aime pas A Day in the Life, je ne peux rien faire pour lui. » vient d’écrire l’historien du rock Yves Bigot, pour lui une évidence ( le Point, 10 avril 2020).
Une chanson hors du temps, pierre précieuse de l’album historique Sergent. Pepper's Lonely Hearts Club Band de 1967. Presque soixante ans déjà : qu’importe, les diamants comme on le sait sont éternels.