Dans la vie il y a des moments où comme ça, sans prévenir, votre sens critique vous lâche.
Ah ben c'était bien parti pourtant, c'est vrai je la connais parfaitement cette chanson... Chaque mouvement, chaque recoin mélodique, quand ça monte, quand ça descend, et j'ouvre invariablement la bouche à 0'43, 1'32 et 4'25. C'était facile, c'était limpide, affaire classée.

Seulement voilà, cette chanson est une petite perverse. On croit la tenir dans sa main, elle vous glisse entre les doigts. On croit savoir qu'elle est belle, pourquoi, quand et comment, elle vous rit au nez et puis plus rien.
Quand on tombe sur plus fort que soi, il faut savoir s'incliner, c'est pas si douloureux après tout. Mais ça fait presque une semaine que je retourne le problème dans tous les sens.

L'histoire est connue. Second album de la trilogie dépressive de Neil Young qui n'allait mais alors vraiment pas fort à l'époque, livraison de circonstance commandée pour prendre la place du grand frère trop dark Tonight's the Night, On the Beach - un peu condamné d'avance - devait rester comme une oeuvre mineure.
La destinée est parfois capricieuse, ce sera un chef d'oeuvre.

Il y a longtemps, quand on écoutait encore les albums en entier, See the sky arrivait en second après l'ouverture sur Walk on.
Walk On on y croit encore, frénésie nonchalante, danse et rebondit incroyablement bien... Bon on sent quand même qu'il y a quelque chose de pas bien net sous ce côté enjoué, mais rien de grave, rien en tous cas qui puisse préparer à ce qui va suivre.

Quelques notes de Wurlitzer, vraiment c'est presque rien au début, on s'en rend pas compte tout de suite mais l'aiguille est déjà plantée.
Puis la petite voix de Neil si frêle qu'elle met mal à l'aise, Broken clouds and rain, on se dit que les chances de s'en sortir sont pas nombreuses.
Voici la batterie de génie (inénarrable Levon Helm), et c'est le shoot de mélancolie pure.
Broken clouds oui, le ciel s'ouvre, la chanson s'ouvre, le cœur s'ouvre, c'est définitivement perdu. Tout ce qui vient ensuite n'a plus grand chose à voir avec le cerveau.

Lacs de montagne, vapeur trouble, enfance nue, lumière morte, argent, couleur de chair, se soulève et tourbillonne, tête en arrière, paupières définitivement closes.
Et plus bas tout au fond, une lueur qui perce au travers du rien, coule sur la pedal steel, dore le piano, soulève la voix d'un demi ton, retient un infime instant le poignet sur la caisse claire.
Si la grâce de cette chanson ne se laisse pas dessiner si facilement, c'est peut-être qu'elle ne tient pas au jeu virtuose, à la mélodie imparable, au texte lumineux de concision.
Elle nait plutôt de ce poignant paradoxe : un esseulé qui rassure, un désespéré qui réconforte, une âme blessée qui console.
Olympia
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le 30 juin 2012

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Olympia

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