La scène est plongée dans l’obscurité. Impatient, le public attend, il sait ce qui l’attend, quand la voix de Bruce Dickinson lance les premiers vers de La Charge de la brigade légère, le poème de lord Alfred Tennyson.


Half a league, half a league,
Half a league onward,
All in the valley of Death,
Rode the six hundred.
"Forward, the Light Brigade !
Charge for the guns" he said.
Into the valley of Death
Rode the six hundred.


Fébrile, la foule attend l’explosion de fureur.


Cette chanson mérite une explication historique. Nous sommes en Crimée, en 1854. Pour une sombre histoire d’accès aux mers chaudes, la France et le Royaume Uni se sont unis à la Turquie pour contrer le Tzar. Ils se sont bien gardés de s’aventurer dans la plaine russe, mais assiègent Sébastopol. Les Russes tiennent une cuvette et ont disposé, tout autour, de l’artillerie. Au lever du soleil, leur assaut contre des batteries ottomanes est contenu. Lord Raglan ordonne à lord Lucan, le commandant de sa cavalerie, de les poursuivre et de dégager les hauteurs. Lucan exige un soutien d’infanterie. Raglan insiste. Lucan transmet l'ordre à son beau-frère et subordonné lord Cardigan, qu'il déteste ! Au lieu d’attaquer les canons les plus proches, Cardigan se précipite sur la batterie principale, en fond de vallée. Il s’offre une charge d'un kilomètre sous le feu de 20 bataillons et d’une cinquantaine de canons. Comme à la parade, ses escadrons s’alignent sur trois rangs. L’affaire prendra 20 minutes. Un tiers pour traverser la plaine, un tiers pour occire les artilleurs, un dernier tiers, interminable, pour se replier sous le feu des batteries latérales. L’affaire a déplu à la gentry britannique. 113 morts et 247 blessés, sur 673 cavaliers, pour sabrer une poignée de moujiks : c’est trop cher payé. Une enquête est lancée. Il apparaît que l’ordre, objectivement ambigu, a été transmis par le capitaine Nolan, aide de camp de Raglan. Il pourrait avoir ajouté des précisions malheureuses, hypothèse d’autant plus plaisante qu’il a eu le bon gout de succomber. Raglan meurt l’année suivante. L’enquête absout Lugan et Cardigan, qui seront promus mais ne se verront plus confier de commandements actifs. L’affaire est close. Retour à la musique.


Iron Maiden lâche ses chevaux. La ligne de basse se fait instantanément hypnotique. La brigade s’ébranle, au pas, au trop, puis rapidement au galop. Les premiers boulets frappent des camarades. Les paroles étonnement littéraires retranscrivent le point de vue d'un hussard, conscient de l’absurdité de l’action. Le refrain n’est qu’une longue et affolante plainte hallucinée. Pourquoi moi ? Un solo fou tente de nous éloigner de la tuerie, mais déjà les basses relancent les cavaliers.


The bugle sounds, the charge begins
But on this battlefield, no one wins
The smell of acrid smoke and horses' breath
As I plunge on into certain death


Il va mourir. La musique se fait frénésie, puis furie.


We get so close, near enough to fight
When a Russian gets me in his sights
He pulls the trigger and I feel the blow
A burst of rounds take my horse below


Il est tombé. Son corps s’engourdit, il a soif, trop de poussière dans ce pays. Il lance un gémissement d'adieu et meurt. Tout s’arrête. La scène retourne à la nuit et au silence. C’est fini.

SBoisse
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le 1 sept. 2021

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Step de Boisse

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