Voir la série

"I've seen the future, brother : It is murder."

Le 1er Mai, sur France 4, débutera la diffusion de Black Mirror, une série d’anticipation britannique créée par Charlie Brooker en 2011, et qui s’inscrit – chose rare depuis quelques années – dans la veine des séries d’anthologie, c’est-à-dire dont chaque épisode constitue une histoire complète.

Plusieurs aspects distinguent ainsi Black Mirror des séries-feuilletons auxquelles les succès de la dernière décennie nous avaient (trop) habitués. Tout d’abord, chaque épisode, d’une durée pouvant varier entre 40 minutes et 1 heure, fonctionne de façon indépendante, à la manière d’un moyen métrage : il est réalisé par un auteur différent, et raconte à chaque fois une nouvelle histoire avec de nouveaux personnages. On ne trouvera donc ici ni le suspens immédiat créé par l’attente de la suite, ni cette plaisante accoutumance que le développement d’une intrigue sur la longueur peut procurer. Par ailleurs, le nombre d’épisodes est très limité : trois pour la saison 1 (2011), trois pour la saison 2 (2013). Il s’agira donc de déguster chacun d’entre eux avec modération, selon un mode opératoire bien différent de l’engloutissement boulimique d’une saison de 24h Chrono, par exemple.

Dans le cas présent, rareté est synonyme de qualité : les pistes de réflexions proposées par les différents scénaristes sont réellement novatrices, et sont développées avec profondeur et cohérence. L’idée de départ est à chaque fois la même : essayer d’imaginer, dans un futur plus ou moins proche, la façon dont la technologie (et, plus précisément, les technologies de communication) aura asservi – physiquement et mentalement – l’être humain; extrapoler les dérives d’aujourd’hui pour peindre un tableau terrifiant, allant du possible au probable, mais toujours plausible, de la société de demain. Inutile donc de préciser que Black Mirror pose un regard sombre, et lucide, sur les travers de notre mode de vie actuel, dans les pays les plus « développés » du moins. C’est principalement notre dépendance aux images, et le rapport biaisé à la réalité qu’elle engendre, qui est ici sévèrement mis en cause.

Dans la saison 1, The National Anthem raconte comment un terroriste, après avoir kidnappé la princesse d’Angleterre, parvient à faire faire ce qu’il veut au premier ministre en direct à la télévision. 15 Millions Merits décrit un monde où les gens doivent passer leur journée à travailler pour fournir de l’énergie à la communauté, la seule issue offerte étant d’être sélectionné par le public lors d’un jeu directement inspiré de notre « The Voice » français et de ses multiples équivalents internationaux. The Entire History of You montre en quoi le fait de filmer et de stocker tous les évènements de notre quotidien peut faire voler en éclat un couple.

Dans la saison 2, Be Right Back raconte comment une veuve parvient à recréer un double artificiel de son défunt mari grâce aux informations qu’il avait accumulées sur les réseaux sociaux tout au long de sa vie. White Bear montre une femme devenue l’objet d’une terrifiante émission de télé-réalité, où la cruauté et le voyeurisme semblent n’avoir plus de limites. Enfin, The Waldo Moment décrit la manière dont la création d’une mascotte virtuelle va bousculer une élection politique locale.

La grande qualité commune à tous les épisodes, outre une réalisation et une interprétation très maitrisées (choses qui semblent aujourd’hui banales car courantes, mais non moins essentielles), réside dans l’écriture. En choisissant de développer de façon méticuleuse l’enchainement aussi précis qu’implacable des situations, les postulats d’anticipation prennent une crédibilité qui les rend glaçants de réalisme. Les personnages sont traités avec un parti-pris qu’il fallait avoir le courage d’assumer : celui de ne jamais en faire des vecteurs d’émotions quelconque – ce qui est totalement contraire à la « loi des séries ». Dans Black Mirror, toutes les émotions humaines (l’amour, notamment) sont reléguées au second plan, et l’être humain est toujours balayé par une machinerie technologique implacable, qu’il a lui-même, bien évidemment, créée.

Le seul bémol (car il y en a toujours un) de la série est qu’elle s’avère parfois un peu prévisible, tant les étapes semblent s’enchainer de façon logique; c’est le revers inévitable du principe d’écriture décrit plus haut. Mais à part cela, Black Mirror est sans doute l’une des séries les plus créatives, et les plus en prise avec le monde d’aujourd’hui, de ces dernières années. Espérons qu’elle recevra un accueil chaleureux sur nos écrans, et qu’elle ouvrira la voie à des créations aussi audacieuses de notre côté de la Manche !
cinematraque
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 28 avr. 2014

Critique lue 422 fois

1 j'aime

cinematraque

Écrit par

Critique lue 422 fois

1

D'autres avis sur Black Mirror

Black Mirror
TheBadBreaker
7

I fear the day that technology will surpass our human interaction

Avant de commencer, je dois dire que je ne savais pas trop quoi penser du concept. Je me demandais s'il était judicieux pour une série de faire des épisodes indépendants les uns des autres, avec...

le 25 nov. 2013

112 j'aime

11

Black Mirror
Liehd
5

En un miroir explicitement

Avant d'appréhender une oeuvre comme Black Mirror, il convient de se poser la question qui fâche : pourquoi un auteur se pique-t-il de faire de l'anticipation ? Réponse : parce que c'est un genre "à...

le 7 mars 2016

104 j'aime

37

Black Mirror
Before-Sunrise
8

L’Homme, ce sac à puces

[critique faite après le visionnage de la première saison uniquement] Black Mirror est une série de trois moyens métrages ayant pour fil rouge l’influence néfaste des medias et des nouvelles...

le 12 oct. 2012

102 j'aime

9

Du même critique

La Famille Bélier
cinematraque
2

Un nanar dangereux pour la santé mentale?

Je me souviens avoir été interpellé, il y a quelques années, à la lecture d’une interview de Quentin Tarantino qui, pour décrire Death Proof, parlait de masturbation. Il expliquait avoir voulu...

le 4 janv. 2015

65 j'aime

8

X-Men: Days of Future Past
cinematraque
8

Le jour de la super marmotte !

La sortie du dernier opus de la saga des X-Men était attendue avec une excitation certaine. Après le décevant X-Men Origins : Wolverine en 2010, X-Men : Le Commencement avait su redorer le blason de...

le 19 mai 2014

39 j'aime

6

Sils Maria
cinematraque
10

Histoire d'une mutation

Parfois, le contexte dans lequel Cannes propose à ses festivaliers de voir un film s’avère très bénéfique à celui-ci. La virginité, la présomption de qualité, l’espérance sans a priori de découvrir,...

le 23 mai 2014

36 j'aime

3