Le dernier plan, au symbolisme prononcé, constitue peut-être la clef de compréhension de l’univers développé par Bruno Dumont dans cette saison : on y voit un carnaval reproduire, au rythme d’une danse endiablée pourtant fanfaronesque, le cycle solaire, le passage du jour à la nuit, de la lumière à l’obscurité, du connu à l’inconnu. Et si le noir incarne l’inconnu comme cette substance gluante tombée du ciel ou comme couleur de peau des migrants, le blanc traduit la sagesse et la compréhension d’un vieil homme quant au passé, son incompréhension face au présent : la gendarmerie, c’est plus ce que c’était, ah la jeunesse, bonne à rien. Coincoin et les Z’inhumains, c’est le choc des générations, une lutte au terme de laquelle le patrimoine et la mémoire d’une région doivent être transmis, réactualisés, revivifiés tout en prenant en considération les apports nouveaux, rejetés car étrangers : homosexualité, flux migratoires etc. Les jeunes sur le scooter versus les hordes figées d’adultes enfermés dans leurs convictions et leur haine du changement. La pluie noire incarne l’irradiation contemporaine, tombe sur chacun sans crier gare, crée un trouble porteur d’une révolte, est l’élément déclencheur de l’Apocalypse mille fois évoquée à l’étymologie loquace puisqu’il signifie, ne l’oublions pas, la renaissance. La démarche adoptée par Dumont rappelle un peu Le Gendarme et les extra-terrestres, où les copies résonnaient telles des créations hollywoodiennes humainement appauvries et en voie d’autonomisation. Le film s’achève en carnaval général, éloge d’une région capable d’intégrer sans se désintégrer culturellement, fière de ses traditions, incapable d’opposer un masque social hypocrite mais amoureuse du travestissement, du masque ludique, du grotesque sans retenue : les Hauts de France. Et quoi de mieux que l’ambition esthétique de chaque instant où chaque plan s’érige en tableau magnifiquement composé, qu’une ambition comique follement burlesque portée par des acteurs incroyables ? Coincoin est à Dumont ce que Twin Peaks est à Lynch, soit une oasis poétique et picturale qui semble régi par ses propres propriétés physiques et temporelles, un vaste parc d’attraction dont on ressort insatisfait avec l’envie de reprendre un ticket pour un tour toujours nouveau. Car la richesse de cette œuvre fera à coup sûr de chaque visionnage supplémentaire une redécouverte totale.