Bruno Dumont a dit lors d'une interview que le burlesque a toujours façonné son cinéma, de près ou de loin, que le comique rôdait et annonçait en quelque sorte son P'tit Quinquin, où le réalisateur s'employait à faire voler en éclats les codes de la série française dans un véritable festival de gaudrioles revisitant le thriller policier. Il persiste et signe avec une nouvelle saison renommée Coin Coin et les Z'Inhumains où cette fois le genre science-fiction sert d'élément moteur afin de fournir son lot de situations improbables et savoureuses, revendiquant plus que jamais le goût de Dumont pour l'humour tarte à la crème, allant toujours plus loin dans l'absurde.


Quinquin a grandi et est devenu Coin Coin, il a délaissé son vélo pour conduire une jeep sans permis, il ronge son frein en voyant sa bien-aimée Eve dans les bras d'une fille et passe le très clair de son temps à zoner avec son pote "l'gros" tout en tentant d'esquiver la voiture à deux roues de la gendarmerie nationale où le commandant van der Weyden a toujours la gâchette aussi facile. Des flaques de glu noire apparaissent un peu partout dans le village, une enquête est ouverte et tout porte à croire que cette matière soit d'origine extraterrestre et dédouble les habitants jusqu'à créer la confusion, l'apocalypse est proche...


La série reste dans ce climat hors du temps gouverné par la mise en scène, plaçant un point d'intrigue pour sans cesse tourner autour en instillant une ambiguïté sur des sujets de société (l'homosexualité, les migrants, la pédophilie, le front national...), Dumont ne se met aucune limite tout en gardant une certaine finesse dans le propos, la gaucherie de ses personnages va servir de liant pour détendre l'atmosphère par un sentiment de doux malaise. On aime rire de ces (anti)héros, de ces situations farfelues, des séquences vont parfois durer plus que de raison pour pousser le spectateur dans ses retranchements, à savoir ce qu'il attend de ce genre de format, d'accepter ou non de se faire mener par le bout du nez. Car comme pour P'tit Quinquin l'enquête est vouée à faire du sur-place durant près de quatre heures, laissant le champ libre au comique de répétition et à l'incongruité scénaristique, les acteurs amateurs (dirigés à l'oreillette) vocifèrent ou marmonnent des discours incohérents quasiment tout du long, l'intérêt est ici de s'abandonner pour revenir à l'origine d'un ressort comique épuré, Chaplin et Laurel & Hardy font d'ailleurs partie des références majeures de Dumont. La série est dans ce conflit permanent entre authenticité et burlesque, drame et humour, qui lui confère une originalité indéniable, Coin Coin va redoubler les gags tout en ne racontant presque rien, c'est son tour de force.


Du moins s'il y a une thématique qui ressort c'est bien celle du corps étranger, le clone extraterrestre, la mutation du corps adolescent, le migrant ou l'androgynie, Dumont utilise le véhicule du cinéma SF pour parler du rapport à l'autre, sans jamais tomber dans la moralisation, le contexte politique s'immisce de manière naturelle poussant de temps à autre l'ironie à son paroxysme comme lors de la scène où van der Weyden se retrouve avec le visage noircit par la glu alien face à des africains qui poussent la chansonnette. On est clairement dans la farce et non dans la revendication idéologique bateau, et ça fait un bien fou vu le climat irrespirable des sujets d'actualité qui ont pour habitude d'enflammer les réseaux sociaux, comme tout le monde s'attend à ce que le candidat d'extrême-droite soit tourné en ridicule, or, il ne le fait pas, on ne le voit même pas, relégué à un simple élément de toile de fond. Idem pour l'homosexualité, la série n'en fait pas des caisses à délivrer un message de tolérance, Coin Coin est simplement meurtri de ne plus être au côté de Eve, il se moque d'être maladroit ou non envers elle, ce qui fait que ça sonne vrai, la scène où il lui déclame son amour est sans doute le moment le plus émouvant de la saison. Le désir est également présent lorsque Coin Coin a des vues sur Jenny, le temps des hormones qui bouillonnent, des premiers baisers langoureux au camping, ce qu'il vit on l'a quasi tous vécu, c'est pour ça que le personnage est aussi attachant, cette petite tête brûlée est une partie de nous.


Ce que je reprocherais à la série c'est de, notamment dans sa seconde moitié, privilégier l'outrance "gaguesque" à la tragédie humaine, P'tit Quinquin réalisait cette alchimie à merveille tandis que Coin Coin va aller ajouter des couches de comique absurde de façon perpétuelle, reposant surtout sur les rencontres entre van der Weyden et son clone, on perd à fortiori ce côté très touchant qui rendait ses sketchs si précieux et cultes (souvenez-vous de la scène du restaurant). Ce sentiment de répétition déborde pour ne faire corps qu'avec l'idée de l'enquête faisant du sur-place, quitte à devenir usante et sentir le temps passer, mais est-ce si rédhibitoire que cela ? Pas tant, car malgré tout Dumont garde un as dans sa manche pour la dernière partie, allant prendre au mot le titre d'un film de SF horrifique bien connu pour ses diverses versions et son influence sur le genre : L'invasion des profanateurs de sépultures, où les clones extraterrestres vont sortir un ancien personnage du caveau, comme un ultime pied de nez au cinéma anglo-saxon. Coin Coin se termine en fanfare, au propre comme au figuré, une vision de l'apocalypse démesurée tant rien n'a de sens, convoquant un bazar sans nom, du troll de classe mondiale où ne subsiste que l'effarement, ça m'a rappelé une réplique de Björk dans Dancer in the Dark "dans les comédies musicales les personnages peuvent s'aimer ou se haïr ils se retrouvent toujours pour la grande scène finale".


Coin Coin et les Z'Inhumains bouscule une nouvelle fois le paysage audiovisuel français et figure comme un OVNI total où Bruno Dumont s'amuse du format série pour revenir aux fondamentaux de la comédie burlesque, un spectacle surréaliste de clowns/clones d'une générosité indéniable. Parfois dans le surplus et l'imperméabilité cette saison ne réconciliera sans doute pas le cinéaste et ses détracteurs, néanmoins nous pourrons nous entendre sur une chose, la télévision a besoin de propositions, d'évoluer et ne pas se cantonner aux brouillons Netflix, laisser carte blanche à des metteurs en scène, ressentir cette liberté créatrice. C'est quand même pas la fin du monde.

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le 28 sept. 2018

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JimBo Lebowski

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