Da Vinci's Demons
5.6
Da Vinci's Demons

Série Starz (2013)

Quiconque aurait l'idée (saugrenue) de regarder Da Vinci's Demons comme un docu-fiction risque de frôler l'ulcère dès l'épisode-pilote ; de la même façon qu'un historien aurait des suées en potassant la Seconde Guerre Mondiale avec Indiana Jones, ou en révisant la mythologie grecque avec les Chevaliers du Zodiaque. D'emblée, la série annonce la couleur : le didactique, ce n'est pas son affaire. "L'histoire est un mensonge". La grille de lecture est posée, il ne reste plus au spectateur qu'à s'en satisfaire ou à passer son chemin. En effet, si Da Vinci's Demons ment sur l'histoire, elle ne nous ment pas sur sa marchandise, ne cache rien de ses intentions et s'assume pour ce qu'elle est, sans complexes, ni limites, ni s'inquiéter du grand guignol ou du qu'en dira-t-on. Là où des productions concurrentes telles que Rome, Borgia ou Tudors dissimulent leurs propres arrangements avec la vérité sous un verni de réalisme carton-pâte, leur cadette se disperse, s'amuse, jubile comme une ado à qui on aurait proposé de réécrire son manuel d'histoire.

Que l'on ne s'y trompe pas : la série n'est ni convaincante dans le registre de la reconstitution historique (bien qu'elle plante son décor avec rigueur), ni dans celui de la grande aventure (malgré l'hommage rendu aux feuilletons populaires d'antan, dont elle recycle les moindres codes). Seul le télescopage des deux, qu'il soit fortuit ou volontaire, lui donne quelques lettres de noblesses : l'attrait naît ici de ce contraste étrange, anachronique, qui s'opère à la croisée d'un cadre à l'académisme relatif (mais réel) et d'un Leonardo de comic book, fantasmé, réinventé, au confluent d'influences que ses géniteurs ne pourraient pas nier. Dans ce Da Vinci-là, il y a du Will Shakespare version "Shakespeare in Love" (le look, les frasques, les failles, les tourments intérieurs), du D'Artagnan version "l'Homme au Masque de Fer" (à la sauce Hollywood, cabrioles à l'appui), du Doctor Who version David Tennant - avec un soupçon de Matt Smith (le bagout, l'assurance, le goût du théâtral) et du Sherlock version Steven Moffat (le dédain l'air de rien, le génie qui isole, l'exaltation et les jaillissements visionnaires). Léo invente, Léo séduit, Léo croise le fer, Léo lance de grands discours moralisateurs, Léo se met en scène, Léo manipule, Léo bluffe, Léo surprend, Léo sauve Florence quatre fois entre le petit déj' et la collation de quatre heures... Léo a un destin. Il est le champion des dieux parmi les hommes. Un super-héros avant l'heure. Flanqué, comme il se doit, de quelques side-kicks clichés jusqu'à l'os, mais étonnamment attachants. Aimé d'une Milady de Windsor à l'Italienne qui agace autant qu'elle séduit, tour-à-tour piteuse et pathétique. Gratifié d'un ennemi juré sur-mesure, un super vilain psychopathe qu'il fait bon détester et dont l'esprit retors lui tient la dragée haute. En faut-il plus ? En aucun cas.

Quel besoin les scénaristes ont-ils eu, par conséquent, de s'embarrasser d'une intrigue fil-rouge qui tend à tirer l'ensemble vers le bas, à force de trop vouloir en faire ? Tant que la trame se focalise sur les conflits, complots et frasques politisantes, la série parvient à briller (pour peu qu'on ait accepté son postulat de départ) ; mais il suffit qu'elle revienne vers cet arrière-plan mystico-conspirationniste à la Da Vinci Code pour virer au grotesque, alignant les poncifs et les twists de romans de gare avec une naïveté qui ne prête même pas à sourire (quand bien même l'idée sous-jacente ne manque-t-elle pas d'attraits). Une chance, alors, que cet arrière-plan mérite aussi bien son nom, et qu'il ait le bon goût de rester en marge du récit pour ne l'alourdir qu'épisodiquement (exception faite de l'épisode 6, calamiteux de bout en bout).

Paradoxalement, donc, ce qui sauve Da Vinci's Demons du naufrage et l'élève au rang de divertissement à part (de ceux qui vous titillent doucement la matière grise), c'est cet état constant de schizophrénie narrative, l'impression qu'il vous donne de visionner deux séries à la fois, deux variations antithétiques d'un thème unique, emmêlées l'une dans l'autre à travers la confrontation entre un protagoniste extra-ordinaire et un cadre narratif commun (un peu comme si on avait envoyé Spirou couvrir la guerre du Golfe, ou Tintin arrêter l'astéroïde d’Armageddon). A l'opposé, chaque fois que le cadre se déplace dans le champ du sensationnel, qu'il flirte avec le fantastique, le contraste s'évanouit, la série vire au ton-sur-ton et y perd tout relief. Pour ces raisons (et tellement d'autres), Da Vinci's Demons s'impose comme une série-équilibriste, qui danse le quadrige sur la corde raide avec une frénésie d'épileptique : sans cesse, elle vacille, titube, trébuche et tombe. Sans cesse elle se relève, contre toutes attentes. Et on a envie de l'aimer pour ça. On a envie de lui trouver des excuses. On la déteste, on râle, on peste contre ses invraisemblances de plus en plus grossières, ses raccourcis de plus en plus flagrants, ses renversements de situation de plus en plus artificiels, ses hideuses CGI, ses scènes de sexe gratuites, ses erreurs de casting, on se mord la langue en marmonnant "mais pourquoi vous faites ça, les scénaristes ? Qu'est-ce qui va pas chez vous ?". Seulement voilà, à l'instar de Léo avec sa Lucrezia, on ne peut pas s'empêcher de revenir vers elle, de vouloir lui donner une autre chance, de la trouver diablement séduisante malgré ses mille imperfections, de se laisser tourner la tête par ses belles images, par ses répliques parfois si bien tournées, par ses fulgurances inspirées et son goût d'inédit.

A équidistance parfaite entre nanar et coup de génie.
Ou les deux à la fois.
Liehd
7
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Une bonne série, c'est bien. Mais une série bizarre, c'est mieux.

Créée

le 9 mars 2015

Critique lue 2.4K fois

Liehd

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