Voir la série

Avec les sorties régulières des séries outre-atlantique, on a tendance à oublier qu’il y également une vraie croissance hexagonale dans le domaine depuis quelques années. Si souvent, elle s’est avérée en dessous des Etats-Unis et des autres pays européens (formidables productions nordiques), quelques séries sortent néanmoins du lot. On pense récemment à P’tit Quinquin, Les Revenants ou Dix pour Cent (avec pour point commun d’être portées par des cinéastes reconnus). En cette fin d’année, on prend donc le temps de s’attarder sur la série qui aura vraisemblablement marqué les écrans français. C’est peu dire que ces dernières années, avec l’ampleur du djihadisme, des départs vers la Syrie et des attaques sur le territoire français, le récit d’espionnage est redevenu un genre prisé par les producteurs. Si Arte s’est donné les moyens de pasticher la fiction d’espionnage historique avec Au Service de la France, Canal + a choisi l’antithèse et le retour à une fiction ancrée dans l’actualité, où les codes du genre sont brisés au profit d’un réalisme à toute épreuve. Après une première saison en juin 2015, Le Bureau des Légendes montrait de nombreuses qualités, notamment une immersion convaincante et un jeu d’acteurs nuancé, mais également des imperfections notables et un rythme mollasson qui empêchaient la série de se hisser dès le premier essai dans la case des séries françaises actuelles majeures. Qu’importe, la presse saluait déjà ce coup d’essai et attendait que la nouvelle saison poursuive sur ses bonnes intentions. Mais après l’échec de la saison 2 de la série Les Revenants, qui aura mis trois ans à être produite, les attentes pour Le Bureau des Légendes étaient aussi grandes que les craintes présentes. Canal + ne pouvait plus se permettre de se louper. Fort heureusement, la chaîne cryptée a appris de ses erreurs et a pu compter sur un showrunner d’exception puisque la seconde saison résout nombre d’imperfections de la première et emmène le spectateur toujours plus loin dans les coulisses du contre-espionnage, et ceci moins d’un an après les attaques du 13 novembre. Un contexte qui permet à la série de se montrer plus captivante, plus maîtrisée et toujours aussi magistralement portée par un casting remarquable. Dans un contexte où est apparu un vif regain d’intérêt pour le milieu du renseignement (Snowden et les attaques terroristes aidant), Le Bureau des Légendes est en passe de devenir un incontournable du petit écran.



Dans la lignée des Patriotes, Eric Rochant signe avec Le Bureau des Légendes l’une des meilleures séries françaises du moment.



Au vu de cette seconde saison, on peut penser que la première n’était qu’une expérimentation pour mettre en place les premiers enjeux, sans trop en faire, et annoncer une seconde, plus complexe et contemporaine. On sent l’influence d’un réalisme nordique, où l’esthétique froide se mêle à des interprétations sobres et retenues, chaque émotion dévoilée pouvant être un élément trompeur ou une trahison. La première saison du Bureau des Légendes débutait lorsque Guillaume « Malotru » Debailly (Mathieu Kassovitz), membre respecté de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), rentrait de Syrie où il avait exercé « sous légende » et allait continuer sa romance avec une jeune syrienne, en conservant sa fausse identité à Paris. C’était le début d’un engrenage infernal de mensonges pour cet agent qui doit également conjuguer avec sa vie d’espion, sa fausse vie syrienne et une vie de famille, en dehors de tout ça? Pour conserver son identité, préserver la vie de ses proches et ne pas mettre en péril la sécurité de son pays, il allait devoir jouer les agents doubles et c’est donc le point de départ de cette seconde saison. La réussite de celle-ci tient essentiellement dans la maîtrise de la ligne conductrice opérée par Eric Rochant. On reconnait la dimension anxiogène et impersonnelle qui définit les lieux de l’intrigue, les caractères froids et déterminés des différents protagonistes, les convictions patriotiques, le contrôle absolu des actions et des émotions chez les agents, et la dimension tragique de l’existence de ces hommes, obligés de vivre dans les illusions, tiraillés entre les mensonges et les tromperies.



Le Bureau des Légendes est de ces séries minimalistes qui arrivent à vous captiver avec la juste maîtrise de ses moyens.



Connu pour ses incursions filmiques dans le milieu d’espionnage (Les Patriotes, Möbius) et du grand banditisme (les saisons 2 et 3 de Mafiosa), grand lecteur des romans de John Le Carré, Eric Rochant renouvelle le genre et s’inspire du contexte géopolitique actuel pour conférer à sa série une crédibilité nécessaire. Fait amusant, Eric Rochant explique que son inspiration vient seulement d’internet et du fait que lui et ses auteurs ont fait preuve d’une extrême rationalité pour donner vie à tout cet univers. On a du mal à croire que le créateur n’ait pas été documenté par quelques uns de ces conseillers de la DGSE ou par ceux avec qui il travaille depuis Les Patriotes. Dans une interview pour Télérama, il explique qu’il a appris de ses sources à désinformer son interlocuteur. Intéressant et pertinent quand on sait à quel point le série aime brouiller les pistes entre la pertinence ou non d’une information. Mais c’est ce qui entretient ce mystère si indispensable à une série où les déclarations, les non-dits et les mensonges sont autant d’indices pour se rapprocher de la vérité. Là où la série se démarque, c’est qu’a contrario des films d’espionnage spectaculaires façon James Bond ou Mission Impossible, Le Bureau des Légendes se focalise sur l’environnement froid, clos et paranoïaque des services de renseignements où la moindre faille d’un de ses agents est le déclencheur d’une crise diplomatique. On est effectivement plus proche de La Taupe que de Kingsman : Service Secrets. Les tensions sont plus palpables, et avec l’immersion au cœur du mouvement djihadiste, l’action y est plus présente. Cela n’enlève en rien toute la rigueur de la série dont la plus grande partie du travail se joue dans ces bureaux, ces échanges téléphoniques, ces discussions qui cachent d’autres objectifs et ces manipulations qui servent à faire sortir la vérité, celle qui influe sur la sécurité du pays. L’aspect feuilletonnant de la série permet de donner de l’ampleur à tous ces personnages, des animaux de sang froid qui doivent conjuguer avec une paranoïa omniprésente, et ce peu importe les relations. Chaque camp est en lien avec l’autre, et malgré les ententes internationales, il n’est pas surprenant qu’une taupe d’un pays allié soit présente au sein des renseignements français, et inversement. C’est là tout l’enjeu de ces espions doubles qui sont les plus à même de faire vaciller les ententes diplomatiques. Cette saison joue plus que jamais sur la dissimulation des informations et des identités. Aussi intéressante que Mathieu Kassovitz, Sara Giraudeau donne une fausse candeur impeccable à Marina Loiseau, ce personnage de jeune recrue, sous une identité de sismologue envoyée en Iran. Elle est le miroir du téléspectateur qui débarque dans cet univers qu’il ne connaît pas et dans lequel il va devoir apprendre à se méfier de tout le monde, sans exception.


Avec cette deuxième saison qui surpasse aisément la précédente, Le Bureau des Légendes s’avère être l’un des must-see de la fiction française. Un brillant jeu d’échecs qui se joue au cœur d’un univers à la tension palpable. L’intelligence d’écriture, l’humanité subtile des personnages et la force implacable des situations rendent cette série aussi passionnante que nécessaire, dans un pays encore troublé par les attaques et les révélations de Snowden. Le Bureau des Légendes est ainsi devenue la série française la plus exportée en 2016. Les craintes désormais dissipées et l’unanimité de ses critiques font de la prochaine saison la plus attendue de toutes les séries hexagonales. Une pression qu’on imagine lourde pour Eric Rochant mais qui aura assurément les épaules pour rester maître à bord et nous donner une nouvelle saison de haute volée.

Softon
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleures séries de 2015, Les meilleures séries de 2016 et Les meilleures séries de 2017

Créée

le 18 févr. 2017

Critique lue 637 fois

1 j'aime

Kévin List

Écrit par

Critique lue 637 fois

1

D'autres avis sur Le Bureau des Légendes

Le Bureau des Légendes
SanFelice
7

Les Patriotes

Eric Rochant, c'est quand même le mec qui nous avait pondu le meilleur film d'espionnage français (le seul bon film d'espionnage français ? Le seul où on n'imite pas bêtement les classiques...

le 26 nov. 2015

35 j'aime

1

Le Bureau des Légendes
CineFun
8

Le Bureau des Légendes

Bienvenue au cœur de la DGSE dans les bureaux parisiens des services secrets français là où chacun reste à sa place enfin presque, c'est pas bordel et compagnie comme Homeland qui a son charme...

le 11 déc. 2019

33 j'aime

4

Le Bureau des Légendes
jaklin
8

Aspects cachés de la troisième guerre mondiale au 21 ème siècle

Les séries en tant que genre m’ont toujours inspiré de la méfiance : schéma narratif très codé, scénario artificiel pour garder le spectateur, choisi parmi une population souvent jeune et peu...

le 7 août 2021

30 j'aime

55

Du même critique

The Big Short - Le Casse du siècle
Softon
8

De l'art d'être un visionnaire sans scrupules

Avant d’être le film d’un cinéaste et d’une distribution cinq étoiles, The Big Short : Le Casse du siècle est avant tout le film d’un auteur : Michael Lewis. Il est à l’origine du roman The Big Short...

le 27 nov. 2015

72 j'aime

6

Juste la fin du monde
Softon
2

Juste la fin du petit génie ?

Deux ans après le bouleversant Mommy et un Prix du Jury (mais une Palme d’Or logique pour tout le monde), Xavier Dolan retrouve le tapis rouge du Festival de Cannes accompagné d’un casting...

le 16 sept. 2016

59 j'aime

6

Conjuring - Les Dossiers Warren
Softon
6

Les Warren : Acte III

Grâce à leur statut authentique, validé lui-même par le Vatican, et la réputation des affaires qu'ils ont traité, Ed et Lorraine Warren, et plus particulièrement leurs cas sont devenus une source...

le 13 août 2013

45 j'aime

2