Je suis une inconditionnelle de la formule originale des premières séries Star Trek, soit 1 épisode = 1 intrigue, ce qui permettait une grande quantité d'enjeux et de rencontres tout au long de la saison, tout en faisant évoluer les personnages par petites touches délicates. C'est dans l'ensemble de la saison, voire de la série entière, que l'on peut mesurer l'évolution globale d'un personnage, par ses expériences et l'effet que certaines situations ont eu sur lui.
Par principe, je n'ai rien contre la formule 1 saison = 1 intrigue qu'on a déjà vue avec Star Trek : Discovery. Je comprends qu'aujourd'hui on veille un gros enjeu par saison, c'est comme ça.
J'ai quand même tendance à ronchonner dans mon coin comme une vieille en reprochant à cette nouvelle formule d'oublier l'intérêt premier de ST, soit la multiplication des points de vues et des problèmes qui posaient vraiment des questions éthiques et morales. Bref, ce qui, plus que la technologie, les Klingons et l'uniforme de Starfleet, fait l'originalité et la force de Star Trek.
Mais là j'arrête de ruminer dans mon coin pour pondre une critique sur ce qui m'énerve. Attention c'est parti.


Le problème de Star Trek : Picard, c'est de reprendre Picard. Car justement, Star Trek : The Next Generation, la première série à mettre Picard en scène, se démarquait par ces fameux enjeux éthiques et moraux, devant lesquels Picard brillait par son intégrité, son inventivité, sa ruse, et surtout sa diplomatie et un grand cœur empathique caché derrière un humour acerbe et une sainte horreur des enfants.


Or, tout ça semble avoir disparu entre Next Gen et cette nouvelle série. L'âge n'a pas seulement rattrapé Jean-Luc Picard, mais aussi le gâtisme. Tous les personnages qui l'entourent passent leur temps à lui dire qu'il n'est qu'un vieux mégalo qui aurait besoin d'une leçon de modestie. Où ?! quand ?! comment ?! Pourquoi reprendre ce personnage si c'est pour lui attribuer une nouvelle personnalité aux antipodes de l'originale ?
On me répondra que c'est le traumatisme de Mars, la solitude, le départ de Starfleet, tout ces trucs que le début de la saison ne cessent de rabâcher. Regardez, il est même devenu gentil, il aime bien un gosse et le gosse l'adore (et hop en une scène on perd le trait de caractère le plus rigolo de ce personnage...). J'ai du mal à imaginer que des scénaristes qui aiment et comprennent le Picard de Next Gen puissent imaginer que Picard évolue ainsi. Un combattant, un forcené, un emmerdeur, voilà ce qu'est Picard, pas un vieux sénile qui accepte qu'on le mette de côté - et pourtant, on a déjà essayé dans Next Gen !


Ça ne serait pas si énervant si ce schéma ne se reproduisait pas avec tous les personnages. Toooouuus les personnages sont torturés, dépressifs, picolent (!), fument (!!), lisent des philosophes so dark dans des crises existentielles d'ados têtes à claques. Alors, oui, à la fin de la saison, on s'est un peu attaché à eux, mais c'est lourd, c'est laborieux. La force de Star Trek (les 3 premières séries du moins), ce sont ses personnages auxquels on s'attache naturellement. Les états d'âmes, les déprimes de ces nouveaux personnages sont presque gênants pour les amateurs de ST qui se souviennent qu'une personne qui va mal, dans ce monde, est traitée avec douceur, empressement, parce qu'on se situe dans une putain d'utopie communiste post-besoins attentive à l'autre. L'asocial est un phénomène rare dans la Fédération, presque une curiosité qui met mal à l'aise : rappelons-nous de l'excellent Barclay (personnage récurrent apparu dans Next Gen pour la première fois), l'hypersensible qui faisait figure de véritable original !
30 ans plus tard, tout le monde serait-il devenu un Barclay alcoolique ?
Serait-on revenu dans notre présent de spectateur où les scénaristes n'arrivent pas à écrire un personnage profond autrement qu'en lui mettant une bouteille dans la main et une phrase de goth à la bouche ?!
Ah ben oui.
Du coup, on picole, on fume comme dans n'importe quelle House of Cards sans profondeur.


instant de nostalgie en repensant aux personnages écrits avec simplicité, efficacité et sans une emphase qui les rend inhumains et inintéressants


Et attention, je ne dis pas qu'on ne doit pas écrire de personnages blessés, brisés dans cet univers. Mais si on veut être un minimum cohérent avec le monde de Star Trek, les états d'esprits de la Fédération ou des races les plus connues (Vulcains, Klingons...), on le fait avec la pudeur qui fait l'intégrité de cet univers. Les premières séries ne manquent pas de personnages torturés : Spock, Worf, Picard lui-même après sa borgisation, Sisko... Mais le spectacle dans Star Trek : Picard est tellement forcé (et sans originalité) qu'il provoque plus la gêne que l'empathie du côté du spectateur...


C'est d'autant plus choquant qu'on revoit au milieu de la saison Troi et Riker qui, bien qu'ils soient devenus beaucoup trop tactiles pour que ça ne soit pas dérangeant, ont gardé une belle réserve, une simplicité dans leur jeu qui permet de souffler le temps d'un épisode dans une saison complète de déprime.
Difficile donc de croire que les personnages s'attachent les uns aux autres et forment un équipage à la fin de la saison, Rios kiffant Jurati, Raffi et Seven ensemble (comme ça, pof, sans aucun préambule, de toute façon y'a pas le temps), Elnor apprécié de tout le monde... J'ai du mal à comprendre comment, puisqu'ils étaient tout le temps séparés, tout le temps en train de déprimer chacun de leur côté, qu'ils n'ont pas partagé leurs peines. Les personnages de Star Trek sont habituellement attachants car ils créent des liens sur le long terme, que leurs rapports évoluent avec les expériences communes. Là bof.
Vous me direz, oui, mais ils ont sauvé la galaxie (rien que ça hein pour changer), l'air de rien ça rapproche et tout.


Moué. Parlons-en.


C'est quoi ce scénario digne d'un téléfilm du dimanche aprèm sur TMC ?!
Gna gna gna prophétie gna gna robots méchants gna gna société secrète gna gna destruction galaxie gnagnagna libre-arbitre-vous-pouvez-être-gentils-si-vous-voulez-ça-ne-tient-qu'à-vous... Quelle déchéance ! Quel intérêt de faire un enjeu énorme si c'est pour tomber dans le scénario rabâché 10 millions de fois depuis Asimov ? C'est quoi ce final qui ne résout rien (il est devenu quoi Narek ? quelqu'un sait, sérieusement ? et Oh, on la laisse partir tranquillou ?!), cet enjeu merdeux de Picard qui meurt à la fin maisenfaitilmeurtpasonavaitunjokerpasdutoutsubtil ?!


Boudiou, Star Trek, ce sont peut-être pas toujours des enjeux phénoménaux (oh non, le vaisseau est coincé dans une flaque de morve extraterrestre...), mais au moins c'est des scénarios malins et qui posent des vraies questions éthiques (cette flaque de morve est vivante, peut-on simplement rallumer les moteurs pour repartir au risque de la tuer ?), qui font douter les personnages de leurs valeurs (je suis de Starfleet, je dois protéger cette forme de vie morvesque), qui privilégient toujours la diplomatie sur la force (si on te donne une chupa chups tu nous laisse partir petite morve ?). Combien de fois a-t-on éteint la télé après un épisode de Next Gen ou de DS9 en ayant le cœur remonté en haut de la gorge parce qu'on s'était pris une grosse claque scénaristique dans la tête ?
Alors là, ouais, dans Star Trek : Picard, on se tatane, on court partout, on tire dans tous les sens, mais pour ce qui est des résolutions humaines, bof bof.


Alors, bon, moi, j'ai trouvé une solution pour supporter ça. Après l'épisode sur Nepenthe, en quittant la petite Riker family, sachant qu'on retournait dans la bouillabaisse scénaristique, j'ai décidé de finir la saison en me disant que je ne regardais pas une série Star Trek, mais une série de SF moyenne. C'est plutôt bien filmé, les décors ne sont pas spécialement intéressants (excepté le peu qu'on voit du Cube Borg que j'aurais aimé plus explorer), mais ça passe. Les énormes flingues, les ordinateurs tactiles façon Minority Report, les costumes tout tristes (en dehors de ceux des synthétiques tout colorés qui m'ont fait penser à la première série Star Trek avec Kirk), tout ça n'a pas la "patte" Star Trek (un peu rétro, pas forcément esthétique mais pratique), mais s'inscrit dans la continuité tristoune des films de SF des années 2010s.


Finalement, Star Trek : Picard souffre du même mal que Star Trek : Dicovery : une envie de trop bien faire et de vouloir faire plaisir à tout le monde. D'un côté respecter l'esprit des séries originales avec des clins d’œil et des références, de l'autre attirer le spectateur de SF contemporain à coups de gros vaisseaux, d'écrans d'ordinateurs transparents et de sauvetages de la galaxie.


Franchement, les amis, c'est fatiguant. Respirez un bon coup, revoyez quelques épisodes de Next Gen ou de DS9 et ayez le courage de faire une vraie nouvelle série Star Trek d'exploration, avec des nerds attachants qui adorent résoudre des problèmes de fusion du réacteur ou découvrir de nouvelles salades sur une quelconque planète de classe M. Arrêtez de vouloir faire courir Picard, il a 154 ans quoi, ne pensez pas qu'on n'aime plus les épaulettes des Romuliens, les sabres ridicules des Klingons et les coupes de cheveux moches des Vulcains. Redonnez-nous des histoires en un épisode qui parlent de la société au travers du prisme à peine déformant de la SF, et des cascades sur le pont parce que personne n'a de ceinture. Des jeux de fléchette pas du tout futuristes, des télépathes rigolotes, des médecins ronchons, des parties de poker mémorables, des grottes partout, des alertes rouges pour un oui ou pour un non, des voyages temporels sur un épisode juste pour le plaisir de déguiser Spock en mafieux, des doubles diaboliques avec des boucs, des synthétiseurs de nourriture en panne, des plantes en plastiques, des amiraux de Starfleet mégalos, des extraterrestres-métamorphes-flaques, des fans de Sherlock Holmes, des amoureux timides, des tricordeurs... Rendez-nous Staaar Treeek T_T

Kogepan
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le 16 août 2020

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