Steins;Gate
7.9
Steins;Gate

Anime (mangas) TV Tokyo (2011)

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D'aucuns, dans le monde de la japanimation, masquent leur prétention ostensible derrière l'épais maquillage de la technique en espérant sincèrement - mais vainement - farder le pompeux pour lui donner des airs augustes. Steins;Gate est effectivement prétentieux en ce sens où il a de l'ambition. La volonté de bien faire, c'est rare dans le milieu ; que ladite volonté soit suivie par les actes : c'est tout bonnement inespéré. Car voilà un anime qui se donne les moyens de ses ambitions. De l'audace sans effronterie artistique, enfin.


Débuter la croisière par un sabordage apparent, ça pourrait être stupide à condition justement de ne pas être audacieux. Steins;Gate, ça se mérite. Le chemin du paradis est paraît-il jonché de barbelés, ce qu'il y a de meilleur n'est pas toujours facilement accessible. Même rarement. Accéder à Steins;Gate, ça ne vaut que pour ceux qui en valent la peine. Alors pour écrémer dans les rangs d'ici à ce que l'ensemble des grouillots soient laissés sur le carreau, le premier épisode se manifestera sous les attributs les plus rebutants qui soient. Entre le découpage hasardeux et délibérément confondant des scènes, le sentiment d'incompréhension forcé par la mise en scène nébuleuse, chaque mesure entreprise par les auteurs semble avoir été employée à dessein de sorte à nous faire rebrousser chemins. Les plus téméraires poursuivent, les moins méritants renoncent.
Le tout aura évidemment vocation à être expliqué sur le tard. Un peu de foi, un chouïa de patience et une seconde lecture nous apparaîtra évidemment limpide.


Puis, après ce tumulte initial, nous voilà qui voguons en eaux calmes. Très calmes. Si calmes qu'on commet l'erreur impardonnable consistant à nous détendre ; à baisser notre garde. Les protagonistes ont beau être profondément ancré dans ce qui se présente comme un grand centre urbain, transparaît pourtant de leur cadre de vie un semblant de champêtre, un rien de bucolique. Cette quiétude heureuse et planante, quelque part rurale est rythmée au son continu des grillons apaisant aussi bien l'âme que l'esprit. L'ambiance en toile de fond n'est pas simulée, on la sent, on la vit, elle imprègne le vécu des personnages et déborde par-delà l'écran pour nous happer.
Il y a si peu de musiques pour ternir ce cadre paisible et tranquille qui berce et trompe si facilement la vigilance d'un spectateur qui ne peut être que béat une fois plongé dans le bain. Il marine le spectateur, il ne sent pas que lentement mais sûrement, l'eau se réchauffe ; quand la première bulle remontera à la surface, c'est qu'il sera trop tard.


Oui, c'est un anime à atmosphère mais qui ne s'arrête pas qu'à ça. Qui ne commence que par ça en réalité. De l'Himalaya qui se dévoile, nous en avons arpenté que les alentours et pas même les premiers reliefs. L'ascension sera fulgurante et n'aura en tête que de nous faire tomber de haut ; à la renverse qui plus est.
Tout nous prépare au basculement et nous n'en savons rien alors que les épisodes s'enchaînent innocemment. Qui aurait pu le soupçonner ? Rien ne le laissait présager mais pourtant, tout y préparait : le traquenard ultime, celui dans lequel on se plaît à finir piégé.


Et les personnages sont dans le coup. Malgré eux. Attachants chacun à leur manière bien qu'ils aient pour certains - et même pour beaucoup - de quoi me persuader de les haïr sur le plan humain. Mais à compter de l'instant où je considère ce plan humain, je leur reconnais une authenticité certaine. Ils sont vivants et, de leurs travers comme du reste, émane un rien de sérénité qui m'empêchera de les avoir en aversion. Ils sont troublants et nouveaux dans l'expression de leur psyché profonde, nouveaux car élaborés ; un art qui se perd dans le milieu.
Okarin aura ce sain exentrisme chevillé au corps, cette folie douce qu'il feint de prendre au sérieux sans jamais trop en faire ; les gamineries d'un homme qu'on devine néanmoins adulte. Il est un personnage à part, comme chacun ici.


Une animation quelque part réaliste avec la conception de son univers graphique en renfort ; le studio White Fox devrait se voir décerner une distinction honorifique de premier plan pour son traitement de la couleur que ces quinze dernières années de japanimation auront bâclé au gré de milliers de productions dispensables. Ici, les couleurs et nuances sont pesées et sous pesées, rien de criard ni de trop sombre : un équilibre artistique précis et méthodiquement conceptualisé mettra en forme Steins;Gate pour justifier son statut d'œuvre à part, son statut de clou qui dépasse et qu'il nous est impossible d'enfoncer. On retrouve ici la juste répartition des tons nous permettant d'osciller avec fluidité entre frisson et trivialité.


La gestion des équilibres confine parfois au paradoxe alors que se côtoient légèreté et pesanteur dans l'atmosphère planante, douce, éthérée et quelque part si menaçante alors que les premières incursions dans le voyage temporel se déroulent sous nos yeux. On ne se contente pas de mimer le verni pseudo-scientifique en surface, il y a ce qu'il faut d'approfondissement pour crédibiliser l'affaire.
Une thématique des voyages temporels que l'on croyait si éculée que s'y risquer mènerait immanquablement à l'échec. Impitoyable que je suis, je les attendais bien évidemment au tournant à espérer le moindre faux-pas et n'ai eu finalement que bien peu à redire d'un sujet qui a pourtant très vite-fait d'être sensible et bancal si l'on n'y prête pas garde. Le voyage dans le temps, ça se manie comme de l'explosif ; une erreur de dosage et il n'en faut pas plus pour que le tout pète à la gueule de son concepteur. Les auteurs n'y auront perdu ici aucun doigt et le feu d'artifice fut monumental.
Un micro-ondes, un portable ; ici, la teneur du traitement de l'affaire temporelle est purement novatrice. De redite, il n'y en a pas. Comparativement à d'autres fictions traitant du même sujet, Steins;Gate a tout réinventé et rien eu à envier. Jusque dans une certaine mesure ou, en tout cas, à partir d'un certain moment. Le sujet glissera sans doute des doigts de ses créateurs sur la fin. Ça aura été un quasi sans faute. J'imagine que l'on peut en tire autant des dernières facéties d'Icare mais bien d'autres se sont cassés la gueule sans jamais avoir flamboyé comme il l'a fait ; il y a parfois du mérite dans la démesure. Jusqu'à ce qu'on se ramasse.


En tenant entre leurs doigts un concept aussi prometteur que le D-mail, les auteurs de Steins;Gate auraient pu se reposer sur leurs lauriers et tabler sur cette seule trouvaille en n'enrobant que le tout des quelques fioritures d'usage pour se cantonner à un rendu correct. Juste correct. Mais ils auront eu l'audace de vouloir marier la forme au fond en terme de qualité. Vaste programme ; habilement réalisé de surcroît.
Se retrouvent alors mêlés dans le même bouillon de génie un sens du bizarre pourtant quelque part familier - comme un déjà-vu déphasé - à une conception de l'ordinaire si parfaitement mise en scène qu'elle virerait presque au romantique malgré elle. C**'est simplement pur, insouciant et innocent tout en débordant de vie** ; c'est encore pour cette raison qu'on ne se méfie de rien.


Il y a dans Steins;Gate l'art de révéler la splendeur et le superbe dans l'anodin. Une discussion banale et sans enjeu apparent nous frappe quand même de par sa pertinence et son authenticité. Ce ne sont pas ces dialogues mécaniques à vocation strictement utilitaire qui s'agencent, on capte ici de vrais instants de vie touchants de pathétique et d'ordinaire.
La dynamique des relations unissant le socle restreint et fermé des personnages est discrète ce qu'il faut pour rendre leurs amitiés crédibles et surtout humaines. Steins;Gate est d'ailleurs si humain qu'un sentiment de proximité nous lie au groupe du laboratoire ; nous aussi aimerions être conviés à la trivialité heureuse de leur été insouciant.
On ne résiste tout simplement pas au déballage de leur banalité du quotidien et à leurs tranches de vie coutumières. Pour une raison qui nous échappe mais qui ne manque pas de nous charmer, on se plait à les voir simplement manger dans leur boui-boui où les portables sont interdits autant qu'à les savoir glaner nonchalamment à la supérette.


Un anime parsemé d'étrangetés intrigantes, le tout tapissé par le fil de la trame afin de leur donner un sens : la juste alliance des mystères et de la science. Un véritable anime événement ; un Neon Genesis Évangelion la consistance et la constance en plus avec une histoire qui sait où elle va et prend la peine de s'y rendre.
Elle s'y rend en prenant son temps sans qu'un épisode ne soit gâché. Mieux vaut profiter de la légèreté de ce qu'il convient d'appeler «La première partie de Steins;Gate» car rupture il y aura, comme une trappe se dérobant soudain sous nos pieds.


Hououin Kyouma laissera alors place à Okabe Rintaro puisque les circonstances l'exigent. Le tournant - et même le point de bascule - qui guettera sera si sombre que son ombrage s'étendra sur l'ensemble de l'œuvre d'où la légèreté aura été soudainement purgée. Les jours heureux sont derrière nous et, même avec les moyens scientifiques d'y retourner, ils seront à nouveau présents sans pour autant se rappeler à nous. La science occasionnera plus de soucis qu'elle ne pourra en régler. Si la boîte de Pandore est fermée à double-tour, c'est pour qu'on ne s'amuse pas à en crocheter la serrure. Eux, l'auront fait en croyant bien rire au détour de ce qu'ils pourraient découvrir, Okabe en récoltera des pleurs et des grincements de dents.


L'angoisse qui monte à force d'expériences se veut graduelle ; la crainte que celles-ci génèrent sont lancinantes et juste progressif ce qu'il faut pour nous remonter langoureusement le long de l'échine. La folie douce autrefois simulée par Okabe prend forme et se concrétise en frénésie désespérée. Brighella devient Ophélie, il sombre peu à peu dans le désespoir et la démence à subir pour l'éternité peut-être la pire épreuve de sa vie. Les séquences émotions qui en découleront s'occasionneront sans emphase ni expression équivoque d'aucune sorte. L'obscène est proscrit malgré la lourdeur du drame.


Les causes de chaque conséquence ne seront pas à prendre à la légère et l'effet papillon redoutable. À nager désespérément à contre-courant, Okabe, sans la moindre issue, récidive et redouble d'effort pour corriger l'immuable. À l'agonie, il s'inflige le supplice de Sisyphe en espérant qu'un jour la pierre ne roule plus. Tout espoir est vain et le tragique inéluctable, mais lui court après déraisonnablement, espérant sans doute trouver le salut au détour du hasard. Mais la science ne laisse rien au hasard et tout à la rationalité implacable d'un monde trop cohérent pour être juste.
Quand Chronos dévore ses enfants, personne ne saurait le priver impunément de son festin.


Ces aléas ou plutôt cette torture donnera sans doute lieu aux sacrifices les plus poignants du monde du manga et de l'anime dans leur globalité. Ceux-là auront plus d'impact qu'à leur habitude car il ne se trouvera personne pour se les remémorer en dehors d'un homme. Pas même ceux s'y astreignant auront eu conscience d'avoir tout abandonné pour se faire pardonner leur l'outrage adressé au Temps lui-même. Tous donneront de leur personne quitte à y laisser une partie d'eux-même afin de dénouer la boucle temporelle infernale.


À se compliquer la vie avec une intrigue particulièrement savantes dont les pistes tortueuses ont nécessité qu'ils s'essorent les méninges pour ébranler les nôtres, les auteurs ont fatigué. La trame, il l'auront portée à bout de bras avant que les muscles ne lâchent ; d'abord progressivement, puis tout d'un coup. L'originalité aura eu son heure de gloire mais n'aura pas régné vingt-cinq épisodes d'affilée. Alors que l'on cède aux poncifs de la société dystopique du futur, le vernis craque enfin. Y'a comme une ombre au tableau et elle s'obscurcit peu à peu.
«En fait je viens du futur» et autres révélations ampoulées parsèmeront notre parcours à un instant donné. Rien qui ne nous fasse regretter d'avoir emprunté la voie de Steins;Gate, mais celle-ci ne paraît plus aussi idyllique et miroitante qu'elle ne semblait l'être à ses débuts.


Très franchement, la troisième guerre mondiale, tout le monde s'en cogne. À force d'évoluer en vase clos depuis le départ et ne fréquenter que ce petit groupe exclusif de protagonistes, on en oublie le monde qui l'entoure. Autour, ce ne sont que grillons et piétons sans visages, alors les cinq virgule sept milliards de victimes potentielles, elles nous paraissent bien loin, dérisoires même ; à mille lieues de nos préoccupations de premier plan.
La trame est suffisamment grave en elle-même pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en rajouter. L'enjeu, c'est un être proche. Et pour peu que celui-ci ait été bien introduit auprès des spectateurs, il pèse plus lourd que le monde entier à leurs yeux.


Quant à cet épisode épilogue, il sera foncièrement dispensable. Déplacé même. L'épisode vingt-trois me donnait aussi cette impression jusqu'à ce que je prenne connaissance de sa version alternative Steins;Gate: Kyoukaimenjou no Missing Link opérant la jonction entre Steins;Gate et Steins;Gate 0. Décevant, il prend néanmoins tout son sens au regard de la diffusion des deux séries.


Sans qu'elle ne fut décevante à proprement parler, la conclusion n'est clairement pas à la hauteur des promesses enchanteresses d'une longue introduction laissant présager le meilleur. On était en droit d'espérer un atterrissage aussi étincelant que le décollage. Il n'y a pas à se plaindre, vraiment ; la boucle est bouclée mais la machinerie a perdu quelques pièces en route. À l'issue de son périple temporel, elle aura laissé quelques boulons d'une trame temporelle à une autre pour ne plus être la même à l'arrivée. À force de sauter d'une réalité temporelle à une autre, on aura changé l'univers de Steins;Gate au point de progressivement changer de série.


PS : Incohérence épisode 14, Okabe entre dans son appartement avec les mains attachées dans le dos et les menottes disparaissent sans qu'on sache comment ou pourquoi dans la scène qui suit.

Josselin-B
7
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le 1 juin 2020

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Josselin Bigaut

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