The Leftovers
7.8
The Leftovers

Série HBO (2014)

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"Am I a Fraud ?", se demande en bout de chemin l'un des personnages principaux de The Leftovers.


La question pourrait, également, tourmenter l'auteur du livre original ; ou la série elle-même si elle avait une âme et n'était pas qu'un mannequin vide, singeant l'humanité jusque dans ses plus crispantes imperfections.


"The Leftovers", une escroquerie ?


Tout dépendra, bien sûr, de la signification qu'on donnera au terme, mais du point de vue de la mécanique interne de l'oeuvre, la réponse est « oui ».


Une escroquerie magnifique, pleine de bons sentiments, de belles idées, de scènes déchirantes, de numéros d'acteurs à vous coller la chair de poule, de violons lancinants et de piano qui pleure.


Une remarquable parabole sur le thème du deuil, qui traite de celui-ci avec une justesse insoutenable, une violence morale salutaire - jusque dans ses aspects les plus pesants et les plus ambigus.


Une fable "à la Stephen King", alourdie par tous les clichés du genre : la ménagerie de personnages archétypaux (chef de la police, ado en crise, prêtre tantôt éclairé, tantôt illuminé, medium aux intentions pas forcément louables), les énigmes en fil rouge, le quotidien défiguré par les bizarreries récurrentes ; et ces prémices qui ne cessent de hanter, aussi sûrement que cette bande originale aux effets appuyés, composée sur mesure.


Mais une escroquerie néanmoins.


Sous couvert de traiter les conséquences humaines d'un phénomène inexplicable, de se focaliser sur les fêlures, les cassures, les vies ébréchées, les fractures ouvertes, les plaies invisibles - ce dont la série s'acquitte avec élégance et sensibilité -, les scénaristes évitent de poser les questions qui fâchent et qui, pourtant, habitent le spectateur dès la poignante séquence d'introduction.


C'est un choix.


Un choix qui se respecte, même.


Ou, disons, qui se respecterait, si le renoncement au mystère et au sensationnalisme de foire était total. Si l’œuvre allait au bout de sa logique, en somme, et si ses créateurs laissaient complètement de côté les promesses d'une explication. En d'autres termes : si on ne prenait pas le spectateur pour un âne, et si on ne le faisait pas avancer au bâton et à la carotte à grand renfort d'indices qui n'en sont pas, et de pistes qui ne mènent nulle part.


Car il n'y a nulle part où aller. Le voyage est, et aurait dû rester, intérieur. Incapable de donner un sens plus que symbolique à sa trame, l'auteur cherche maladroitement à nous convaincre qu'il maîtrise son sujet en enchaînant les deus ex machina les plus éculés et les dialogues cryptiques les plus grotesques – lesquels ne font pas illusion, et pour cause : ce sont là des pratiques de débutant, des artifices de bonimenteur, de l’esbroufe d'amateur. Une écriture aussi paresseuse, maladroite, que malhonnête.


Tom Perotta aurait très bien pu, s'il avait eu ne serait-ce que la moitié du talent de son inspirateur (King, pour ceux qui ne suivraient pas), traiter du drame, de ses conséquences et du mystère qui les entoure, sans avoir à faire un choix ni à sacrifier un aspect de son travail au profit d'un autre. Les vrais créateurs en sont capables. Pas les petits écrivaillons de quinzième zone. Son roman à lui s'achève où se clôt la première série : avec mille parenthèses ouvertes qu'il n'a pas su refermer - tout en se donnant l'air de ne pas l'avoir voulu, histoire de sauver la face. Mille éléments anecdotiques, mais significatifs, qu'il a convoqués sans en exploiter aucun, si ce n'est pour tenter de donner un peu d'épaisseur narrative à son propos. Et que je te colle du cerf en liberté qui fait des trucs de cerfs en liberté mais que c'est mystérieux quand même (!), et que je te balance des bouches d’égout qui explosent, et que je te tartine des pigeons qui font gagner les gens à la roulette, et que je te rajoute des voix, des visions, des amnésies, de la télépathie - mais attention, sans qu'on ne sache jamais si tout cela est vrai, ou bien imaginaire, du jamais-vu ! -, et que je te cite avec un air grave du poème fataliste ou du texte religieux, ou encore que je te fais lâcher des phrases trop elliptiques qui peuvent vouloir tout dire, ou leur contraire... Et que penser, encore, de ce numéro rare du National Geografic, auquel on consacre presque un épisode entier mais dont on ne saura pas ce qu'il fichait là (à moins, peut-être, de s'en offrir un sur Ebay ?). Le tout, sans que jamais ces éléments ne servent à autre chose qu'à planter un décor ou entretenir artificiellement un mystère qui n'en est pas vraiment un, au fond, puisqu'il n'a pas été pensé comme tel.


Paradoxalement, la série aurait pu se suffire à elle-même sans ces incursions fantastiques - lesquelles, en définitive et en l'absence de toute résolution, lui enlèvent plus qu'elles ne lui apportent (les épisodes les plus réussis étant, sans surprise, ceux qui se dispensent de telles facilités). En conséquence de quoi l’œuvre s'embourbe-t-elle dans un compromis malhabile entre les grosses ficelles populaires d'un Under the Dome ou d'un 4400, et une ambition plus intellectualiste façon les Revenants, sans jamais oser complètement aller dans un sens ou dans l'autre - trop heureuse qu'elle est de profiter de leurs avantages narratifs respectifs, sans avoir à trop souffrir de leurs inconvénients. Car si le public s'accorde aujourd'hui à saluer l'intelligence et l'audace de l'approche « minimaliste », sur le moment, combien auraient suivis l'aventure humaine jusqu'à terme sans ces promesses d'une tonitruante révélation de fin de parcours ?


Il n'y a pourtant ni tour, ni magicien, juste un lapin dans un chapeau et quelques passes d'apprenti prestidigitateur. A chaque nouvelle pirouette, les auteurs semblent ravis de placer le spectateur face à son impuissance, son incompréhension, ils jubilent et pérorent sans hésiter à forcer le trait jusqu'à la caricature, sans réaliser qu'ils ne mènent le jeu que parce qu'ils ne donnent pas les cartes qui permettraient de gagner la partie, parce qu'ils refusent obstinément d'en expliquer les règles – si tant est qu'il y en ait.


Escroquerie, on vous dit.


La saison 2 pourra peut-être sauver la première de ce triste demi-fiasco en rattrapant ses bourdes, en équilibrant mieux l'écriture de ses personnages (spéciale dédicace à Tommy, Wayne et Christine, les grands oubliés de ces dix épisodes) et en fermant les innombrables boucles laissées ouvertes en saison 1.


Le livre, lui, est irrécupérable.
Un drame humain réussi, dans l'écrin d'un conte fantastique absurde et paresseux.

Liehd
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Une bonne série, c'est bien. Mais une série bizarre, c'est mieux.

Créée

le 27 oct. 2015

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Liehd

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