The Mandalorian
7.1
The Mandalorian

Série Disney+ (2019)

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S'il y a de quoi rester circonspect face au tournant de sa carrière, il faut reconnaître que Jon Favreau a su se construire une réputation d'artisan efficace au sein du monde du show business, devenant une personnalité de confiance aux yeux des grosses machines hollywoodiennes tout en cultivant un intérêt pour les apports technologiques. Ses bonnes relations avec Disney, justifiées par sa participation à forger le Marvel Cinematic Universe et à remettre au goût du jour Le Livre de la Jungle et Le Roi Lion, lui valent d'être nommé à la supervision de la première série en images réelles de l'univers Star Wars, un événement sans pareil dans l'Histoire de la saga.


Un rêve de gosse se réalise pour Favreau, fan de longue date, qui part avec de nombreux avantages sur le plan budgétaire et créatif. L'un car la série étant commandée pour Disney+, la somme requise pour délivrer une production design à la hauteur des espérances sera amplement suffisante (c'est ce déficit qui avait plombé l'élaboration de Star Wars : Underworld sous l'ère Lucas) et l'autre car l'espace chronologique entre Le Retour du Jedi et Le Réveil de la Force n'est fait que de bric et de broc, Lucasfilm pouvant naturellement combler ce grand vide sans trop se soucier de la continuité.


The Mandalorian pose donc les pierres les plus importantes de l'après-Épisode VI en-dehors des informations déjà connues de l'Univers Étendu Officiel, se situant cinq années après la défaite de l'Empereur alors que la Nouvelle République est naissante et que l'Empire peine à survivre via des factions dispersées dans toute la galaxie. Retour d'une ambiance crasseuse à la Rogue One, d'un milieu baignant dans la criminalité à la Solo et ce sous la direction partagée de Jon Favreau et de Dave Filoni.



SAISON 1 :



La première saison va étonner, dans le sens positif comme négatif, par son style narratif. Rythme assez lent, dialogues économes, The Mandalorian est structuré tel un jeu de rôle où le spectateur se projette dans le chasseur de primes. Le personnage est adapté pour, constamment casqué, peu loquace, sans passé et identité clairs, libre dans ses actions et ses décisions, nous le suivons comme si nous pouvions le diriger, que nous devions lui créer une histoire avec les outils mis à disposition. Régulièrement, il sera question de trouver des ressources, d'utiliser avec parcimonie les armes et les gadgets sur le terrain, d'améliorer l'armement en conséquence, de localiser des lieux sûrs et de découvrir le Mandalorien au fur et à mesure de ses interactions avec divers personnages.


Les épisodes dits fillers s'apparentent à des quêtes optionnelles, des missions secondaires qui adoptent le même esprit dans les péripéties, l'action est surtout stratégique, elle revient à tenir une position, piéger une cible ou survivre à une fusillade en se servant du décor comme principal allié. La méthode montre souvent ses limites, au point de parfois ressembler à un jeu vidéo filmé mais la série arrive majoritairement à réutiliser à bon escient ce qu'elle installe à travers ses intrigues annexes. Bien qu'il y ait un fil rouge visible, les intentions de l'équipe semblent plus pencher vers la création de petites aventures indépendantes enrichissant le quotidien du mercenaire. Ainsi, chaque chapitre permet de varier les objectifs et les visuels tout en restant dans le même univers et en suivant le même scénario à la façon d'un serial.


Avec The Mandalorian, Favreau et Filoni sont comme deux enfants fantasmant sur ce qu'ils pourraient faire avec leurs jouets préférés, leurs références sont, somme toute, classiques, allant puiser dans le western (Rio Bravo) comme dans les films japonais (Les Sept Samouraï), mais leur enthousiasme communicatif est payant, ils ont une volonté sincère d'ajouter leur patte à Star Wars, écrivant de nouvelles répliques destinées à devenir cultes chez la communauté autour de concepts marquants ("This is the way", "I have spoken"), créant des zones brumeuses qui intensifient le mystère avec autant de simplicité que de bon calcul (l'impérial joué par Werner Herzog simplement surnommé Le Client, "Baby Yoda", petit Gizmo de l'espace, appelé L'Enfant) et dressant un portrait des Mandaloriens, débordant de classe et de fascination, qui ne demande qu'à être garni.


Il pourra être reproché une écriture un peu plate et des relations humaines semi-expédiées mais Favreau réussit son plus gros pari, celui de nous faire croire en ces personnages, quand bien même sait-on le strict minimum sur eux. Tous ont de vraies gueules, des voix mémorables et semblent appartenir à des milieux différents mais cohérents entre eux, que ça soit le charismatique Carl Weathers en chef de la Guilde, la musclée Gina Carano en ex-Shock Trooper, l'averti Nick Nolte en vieux fermier alien ou le génial droïde assassin interprété par Taika Waititi.


Même transposé en série, Star Wars a fière allure. Malgré ses limites évidentes, Favreau sait y faire, c'est plastiquement plus que présentable et la qualité technique n'a pas à rougir de celle de ses cousins cinéma. Rick Famuyiwa et Deborah Chow signent les épisodes les plus propres, Bryce Dallas Howard s'en sort honorablement et Taika Waititi réalise un final explosif qui ne prive pas de quelques touches décalées propres au metteur en scène. Seul Dave Filoni est un peu largué, livrant un pilote sympathique mais assez mou et une visite full fan-service sur Tatooine dont on se serait bien passé. Surtout quand à côté, les clins d'oeil à la saga sont généralement très savoureux car piochent dans toutes ses extensions sans faire de jaloux, trilogies comme séries animées, spin-off comme émissions, que la réputation soit douteuse ou que l'existence soit approuvée, tout ce qui a perpétué La Guerre des Étoiles doit être assumé.


Pour sa première saison, The Mandalorian n'échappe pas à quelques égarements mais rassasie pleinement le fan moyen en soif de nouvelles histoires sur Star Wars. Le soin apporté à l'ensemble promet le meilleur pour l'avenir de la série et se présente déjà comme un argument solide pour la continuation de Disney+.



SAISON 2 :



Telle est la voie. La phrase à laquelle s'accroche Din Djarin pour tracer son chemin dans la galaxie et que Jon Favreau s'est promis de déconstruire dans cette deuxième saison pour que son héros puisse se libérer de ses entraves. Depuis qu'il a décidé de son plein gré de renoncer à ses engagements en sauvant l'enfant des mains des impériaux, le Mandalorien a sans le savoir franchi un pas décisif. De nature obéissante et impassible, il se découvre un libre arbitre qui lui était jusqu'alors refusé par son crédo et va se lancer dans un long questionnement intérieur. Tout comme le bébé qu'il a sous sa garde, rien ne détermine à l'avance son destin. En partant à la recherche d'un Jedi à qui il doit remettre son petit protégé, c'est une nouvelle conscience qui émerge chez lui ainsi qu'une meilleure compréhension du monde. Les clés lui sont données progressivement pour qu'il élargisse sa vision de l'univers Star Wars en même temps que le spectateur qui, lui, en apprend davantage sur cette période encore nébuleuse.


Sous la caméra de Favreau lui-même, Mando revient au sommet de sa forme, dans un premier épisode spectaculaire, aux prises avec un Dragon Krayt. Réintroduit en beauté, c'est par la suite que le personnage va s'humaniser de plus en plus grâce à ses nombreuses rencontres. Tandis que la saison 1 explorait sa personnalité en fonction des individus avec qui il s'alliait (son dévouement avec les villageois, son expérience avec les assassins), la saison 2 va éclaircir les zones d'ombres sur la Tribu qui l'a recueillie et sur sa moralité. Un premier twist très malin nous révèle sa véritable affiliation, apportant à la fois un autre point de vue sur sa façon de penser radicale (les dogmes établis dans la série dont la provenance restait inconnue) et plusieurs possibilités quant à la manière dont il devra s'émanciper dans le futur. Mais c'est sa relation avec son minuscule compagnon de route qui va constituer le coeur de l'histoire.


Alors qu'il le transportait à ses débuts comme un poids mort, le Mandalorien cesse lentement d'étiqueter le bébé pour accepter le lien qui l'unie à lui. Il n'est plus un colis ou un objectif de mission mais bien son enfant et ce grâce à un seul mot : Grogu. Dès l'instant où son vrai nom est enfin prononcé, cela a l'effet d'un réveil pour son protecteur qui répond à son instinct paternel. Les éléments présentés prennent tout leur sens (le running gag de la boule du levier, le vaisseau qui sert de maison, la communication entre les deux souvent difficile, l'absence de distinction entre le bien et le mal qui peut pousser ce petit être inoffensif à étrangler un quidam) et Din Djarin gagne fortement en épaisseur, n'hésitant pas à enfreindre les règles pour sauver ce qu'il considère comme étant son fils et à oublier son éducation d'extrémiste. Ses deux retraits du casque sont par ailleurs l'occasion pour Pedro Pascal de montrer l'étendue de son talent même pour seulement quelques minutes, dévoilant la réelle fragilité de Mando qui se ressent au-delà de sa voix.


La saison 2 de The Mandalorian est également un moyen pour Lucasfilm d'entrer dans une phase capitale et non moins risquée pour les années à venir, celle du cross-média. Là où la première saison restait modérée, la nouvelle crée une infinité de ponts en voyant Mando côtoyer les plus grandes légendes de Star Wars, des plus anciennes aux plus récentes. Si le démarrage se fait en douceur avec le marshal Cobb Vanth, joué par un sympathique Timothy Olyphant et issu des romans Aftermath; les choses sérieuses commencent avec l'arrivée de Bo-Katan Kryze qui vient affirmer la continuité directe avec The Clone Wars et Star Wars Rebels. Après lui avoir prêté sa voix dans les deux séries animées, Katee Sackhoff joue la leader des Nite Owls en chair et en os et retranscrit tout naturellement l'orgueil et l'assurance du personnage, toujours résolu à reconquérir Mandalore. Sa venue installe des pistes d'ores et déjà prometteuses concernant les tensions entre les clans, dues au nouveau détenteur du sabre noir.


Mais c'est le treizième chapitre qui renoue définitivement avec la magie originelle de Star Wars puisque le fils spirituel de George Lucas y baptise la création dont il est le plus fier, Ahsoka Tano. Plus endurcie que jamais, la Togruta est interprétée pour la première fois en live action par une Rosario Dawson habitée et méconnaissable qui resplendit à chacune de ses apparitions. Sa présence solaire correspond à l'idéal que la saga a longtemps fait des Jedi, Dave Filoni la filmant telle une chevalière errante coupée de son peuple et de la politique, désintéressée et consacrant sa vie à aider les opprimés. Tout en subtilité, l'actrice parvient à montrer le visage désabusé de cette survivante qui ne partage ses blessures avec personne tandis que le réalisateur la met dans une position où elle retrouve les mérites de son enseignement. Filoni l'utilise avec énormément d'ingéniosité autant pour lever le voile sur les origines de Grogu que pour faire évoluer Din Djarin, total étranger à la Force et à ceux qui la ressentent. Une rencontre qui nous ramène aux premiers pas dans La Guerre des Étoiles entre Luke et Obi-Wan.


Dans un genre plus empoté, la grosse gâterie est le retour de Boba Fett, second couteau sous-exploité dans les films mais élevé au rang de personnage culte dans l'UE. Si Robert Rodriguez signe l'épisode le plus moche esthétiquement parlant, le tournage s'étant déroulé dans la précipitation, le cinéaste se rattrape néanmoins sur la représentation de Fett durant ce chapitre très musclé. Descendu de son piédestal, le chasseur de primes doit littéralement se battre pour reprendre son statut et justifier sa popularité. Rodriguez fait le choix de s'éloigner de l'image de l'exécutant silencieux pour en faire un prédateur enragé et le résultat est payant. Avec ou sans armure, les combats l'impliquant sont d'une violence rarement vue dans la franchise et la sauvagerie des coups ne manque pas de faire sursauter. Temuera Morrison hérite légitimement du rôle, ayant campé Jango Fett et les clones dans la Prélogie, et son idée de mélanger sa culture maorie aux techniques martiales renforce la bestialité de ce revenant de l'ancienne trilogie.


Favreau et Filoni embrassent l'héritage de l'Univers Étendu mais ne se limitent pas à des allusions faciles pour le faire vivre. Le clou du spectacle a beau être bien évidemment l'intervention héroïque de Luke Skywalker durant une séquence de sauvetage iconique, son caméo est une fausse surprise puisqu'il n'est que la conséquence logique du teasing préparé depuis la saison 1. Tout en connectant fermement les dérivés de la licence entre eux, son moment de bravoure pose un douloureux contrecoup en séparant un père de son fils car telle est la philosophie de l'Ordre que suit le maître Jedi. Les adieux, même s'ils ne sont probablement que temporaires, sont déchirants et prouvent que l'attachement du public n'est pas faussé par des échos nostalgiques mais qu'il est bien dû à ces passages de pure humanité qui ont toujours cimenté les récits de Star Wars. Assurément un bon coordinateur, Favreau arrive à tirer du bon de ses collaborateurs, y compris Peyton Reed qui a la charge du finale season.


Revenus de la première saison, Bryce Dallas Howard et Rick Famuyiwa livrent des épisodes carrés et bien construits tout comme Carl Weathers, chacun parvenant à s'axer sur des thèmes qui étoffent le contexte (les retrouvailles d'un couple ordinaire, le rétablissement d'une ville, les traumatismes causés par la guerre). Des arcs sont prolongés pour suivre les répercussions des actions du Mandalorien (la Nouvelle République qui reste aux aguets, la survie de Fennec Shand, la rédemption de Mayfeld) et d'autres annoncent des événements de grande ampleur (Thrawn toujours en activité, les expériences de clonage). Sans que ça soit novateur et toute proportion gardée, Favreau et Filoni savent faire preuve d'audace au sein de la série quand cela vient aider la narration (la transition au 16/9 pour l'attaque du Dragon, la destruction du Razor Crest, Grogu absent de tout le Chapitre 15) et les petites déceptions sont pardonnables (le duel avec Moff Gideon conduisant à relancer le suspense jusqu'à la prochaine saison) car soit minimes soit rattrapables.


Avec ces 8 nouveaux épisodes, The Mandalorian monte de plusieurs crans en émotion et en grand spectacle, s'inscrivant comme le successeur de The Clone Wars et de Star Wars Rebels tout en ne perdant pas son identité et son âme propre. En dépit de ses petits couacs, la série sait être généreuse, honnête, accessible et il y a fort à parier que Din Djarin et Grogu deviendront un duo emblématique de l'univers Star Wars, s'ils ne le sont pas déjà devenus.

Walter-Mouse
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le 2 janv. 2020

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Walter-Mouse

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