N.B. pour Diane

Diane, 11 h 30, 24 février.

Je suis arrivé à ma destination : Twin Peaks.

La route a été bonne avec un ciel partiellement nuageux.

Diane, je vous remercie pour votre conseil. La tarte aux cerises du Lamplighter Inn, sur la route 2, près de Lewis Fork, est effectivement un délice.

La dernière fois que j’avais vu autant d’arbres, c’était dans les Vosges. Croyez-vous que les montagnes françaises cachent aussi une Loge noire ? Jeanne d'Arc y est né. Peut-être dois-je y voir un rapport avec ce message : « Fire, walk with me ».

Comme vous le savez, l’ouverture d’un troisième dossier m’a poussé à me plonger dans les deux premiers.

Et je vous le confesse, je suis un imbécile. Pourquoi ne l’ai-je pas fait avant ? A croire que l’on ne m’a confié que des enquêtes secondaires jusqu’à présent.

Diane, il est 22h30.

Je découvre ma chambre du The Great Northern Hotel. L’ensemble est rustique, massif. Il n’est pas sans me rappeler l’Overlook. Le propriétaire Benjamin Horne est particulièrement agaçant, mais toujours moins que son frère. Par contre, sa fille, Audrey, est un vrai délice. Il n’y a rien d’étonnant à que l’agent Cooper ait été troublé. Je l’ai été tout autant.

Diane, il est 8 heures.

Enfin du café digne de ce nom. Il faudra que j’en parle lors de notre prochaine réunion des Buveurs de café du FBI. L’agent Cooper en était un membre influent.

Je vais profiter de cette contraction temporaire des vaisseaux sanguins de mon cerveau pour un premier ressenti sur cette affaire.

Les techniques de l’époque ne sont, bien entendu, pas aussi performantes qu’aujourd’hui. Mais l’efficacité de l’agent Cooper permet d’y pallier. Sans compter l’appui ponctuel, mais toujours efficace des autres agents : Gordon, Albert ou encore Denise. Leurs interventions peuvent paraître décalées et même inattendues, mais elles sont toujours pertinentes. Un vrai plaisir de les retrouver.

Le meurtre de la jeune Laura Palmer est le point de départ pour l’ouverture du dossier. Je remarque toutefois que son meurtre se retrouve vite mis en marge. L’objet de l’enquête n’est pas cette lycéenne, mais bel et bien cette ville, Twin Peaks. L’agent Cooper s’est évertué à essayer d’en comprendre les mécanismes et les mystères à travers ses habitants. L’ensemble n’en est que plus fascinant. L’enquête ne suit jamais les voies protocolaires. L’amour n’y est pas aveugle, mais borgne. L’humour se cache derrière l’horreur. La sagesse est logée dans une buche.

Cette méthode a toutefois eu ses limites. La résolution du meurtre de Laura Palmer a provoqué des remous incohérents et cacophoniques. La qualité de la seconde enquête en a pâtie et l’on peut dire avec le recul qu’elle a été clairement bâclée. L’un des premiers instigateurs de l’enquête, David Lynch, a récemment avoué au New York Times avoir arrêté de regarder car «c'était trop mauvais».

Diane, il est 20h15.

Je viens de recevoir un coup de fil de ma femme. Quand elle a mis nos charmantes filles au lit, la plus petite s’est endormie avec sa peluche chouette. Elle ne veut pas la quitter. Dois-je me méfier ?

Diane, il est 12 h 40.

Je sors du Double R Diner. La Cherry Pie de Norma Jennings est une véritable bénédiction. Vous rappelez-vous que l’agent Cooper avait transmis sa recette pour le bulletin interne du FBI ? Et bien, j’ai modestement essayé de la faire. De la famille, je suis le seul à en avoir mangé.

Diane, il est 21 heures.

Ces deux dossiers comptent un nombre inhabituel de protagonistes. Cette ville de Twin Peaks concentre des personnes véritablement atypiques, et pour certaines même attachantes. Au-delà de mon admiration personnelle pour l’agent Cooper, je trouve que toute la qualité de ces dossiers résident justement dans ses protagonistes. Je ne cacherai pas avoir été troublé par la jeune Audrey Horne, même si je l’ai trouvée bien volatile dans la seconde partie du deuxième dossier. Son charme a beaucoup plus agi sur moi qu’avec Laura Palmer. Tout le commissariat est également un phare dans ces forêts obscures. Des gens aux intentions pures et profondément humaines, même si je ne cacherai pas non plus un agacement sur les pérégrinations autour du triangle amoureux de Lucy (Dieu que sa voix est agaçante et ses donuts savoureux). De même pour Nadine Butler Hurley. Entre nous, j’aurais aussi bien mis quelques claques à Donna et James.

Toutefois, j’avoue qu’une des grandes forces de ce dossier est son caractère imprévisible. Prenez Bobby et Major Garland Briggs, tous deux paraissent particulièrement caricaturaux. Et pourtant, ils offrent quelques uns des moments les plus touchants du dossier. Entre nous, Diane, ce fut aussi le cas avec l’agent Albert Rosenfield. Mais ne lui dites pas, cela gâcherait sa mauvaise humeur coutumière.

Malgré le contexte dramatique que cela implique, je suis très heureux de pouvoir consulter un nouveau dossier. Je me suis attaché à cette ville et à ses habitants. Et il y a tant de mystères non résolus… Mais le seront-ils un jour ?

Diane, il est 1h13.

Une pensée m’a réveillé. Depuis 25 ans, le Tibet n’est toujours pas libre.