Ceci ne sera pas une critique de la série Andor. J'aime ses deux saisons (la 2e est un peu longue parfois mais a de très bons moments), et j'aime sa manière sérieuse de traiter de la vie dans un état totalitaire et des moyens de lutter contre. Je ne me sens pas de détailler ici pourquoi, mais je la recommande aux gens qui pourraient être rebutés par l'étiquette "produit dérivé Star Wars" et qui se lassent de cette licence surexploitée. Nous ne sommes pas ici dans du Star Wars conventionnel, et c'est précisément de cette particularité dont je voudrais discuter.
Bien que je ne suive pas vraiment ces séries Star Wars (il y en a beaucoup et mon intérêt pour la licence s'est émoussé), je suis assez content quand certaines tentent d'afficher une variété de genres et de tons, les oneshot Star Wars Visions animés en constituent l'exemple parfait. C'est un univers riche en planètes, peuples et histoires, autant en profiter pour fricoter avec des genres qui seraient plus risqués ou hors-sujet dans les films numérotés. Avoir du Star Wars western, du Star Wars polar, du Star Wars horrifique ou même du Star Wars comédie romantique, ça m'intéresserait un peu plus qu'une aventure identique aux films étalée sur une saison. Là on a le Star Wars plus terre-à-terre d'une vie de résistant, sans exploitation de caméos ou de la Force, et je trouve ça rafraîchissant.
C'est tellement rafraîchissant qu'on voit beaucoup de choses que ne faisait pas Star Wars avant et qui ont fini par m'interpeler, en dehors de la dureté de certains thèmes. Par exemple on s'attarde beaucoup sur la vie quotidienne, là où les films d'aventure spatiale font souvent l'impasse. Peu avant la sortie de Star Wars VII, des potes discutaient entre eux pour répondre à cette question : "Mais ils mangent quoi dans Star Wars ? Est-ce qu'on a déjà vu de la nourriture ?". Et une fois que la question est posée on se rend compte qu'à part le lait de Luke dans le VIII, non on ne distingue presque jamais ce qu'il mangent ou alors on n'y fait vraiment pas attention, alors qu'on fréquente plusieurs tavernes. Par contre dans Andor c'est festival : énormément de nourriture nous sera dévoilée et ce sera systématiquement des inventions de SF, surtout dans la saison 2 : entre les fruits à la texture dégueulasse de la jungle et les mets raffinés de la bourgeoisie, on a largement l'occasion de savoir comment on mange dans cette galaxie lointaine, très lointaine.
Même chose avec de nombreux éléments bénins de la vie quotidienne : on assiste dans cette saison 2 à un mariage, et avec lui à son lot de costumes traditionnels, de coutumes et soirée dansante, le tout sans l'atmosphère de pub pour parfum de L'Attaque des Clones. C'est même tellement terre-à-terre que ça ressemble beaucoup plus à notre vrai monde qu'à celui plus fantasmé de Georges Lucas. On a le DJ avec sa table de mixage, on a le système d'écoute de l'Empire digne des meilleurs thrillers, on a le peuple Ghorman qui est habillé comme des français des années 40 avec une langue à accent français marqué, on a même les CRS avec leur bouclier en acier, alors que Georges Lucas avait introduit des boucliers énergétiques bleus bien plus clinquants et efficaces. Tout est bien sûr pimpé pour faire plus SF dans le design, mais on reconnaît très bien les outils d'origine de notre monde contemporain et leur côté alien est réduit au max pour qu'on ne s'évade pas trop de notre réalité, avec une photographie plus grise que les films.
C'est un parti-pris qui a du sens : la série n'est pas là pour nous faire vivre un grand voyage exotique fun, elle est là pour nous faire ressentir l'oppression du fascisme et toutes les difficultés qu'il y a à y faire face. On n'est pas là pour être émerveillé face à des hologrammes, des décors colorés ou des gadgets marrants, et certainement pas pour jouer du sabre laser en faisant zion zion avec la bouche. On est là pour mettre son nez dans la merde, celle du fascisme qu'on a vécu, que certains vivent et que d'autres risquent de vivre. Le rêve n'a plus vraiment sa place, même si ça n'empêche pas la série de garder de l'humour ou quelques mésaventures. Les aventures pulp c'est fun, j'aime en regarder, mais ici ce n'est pas le programme et c'est très bien.
Cependant cela m'ennuie que cette approche soit faite au sein de la continuité Star Wars, parce qu'il y a une rupture claire en terme de tonalité avec les films. J'ai pourtant bien dit que ça ne me gênait pas d'avoir une variété de genres explorés par les séries Star Wars, ou que Star Wars ne devrait pas être cantonné à un seul type de récit, mais ici j'ai trouvé que cette insertion était presque compliquée. Andor est une préquelle à Rogue One qui est lui-même une préquelle à Star Wars IV, ils sont dans une temporalité proche et les enjeux de ces films et série se rejoignent, mais ils n'ont pas la même tonalité. Cela m'avait conduit à écrire ceci en commentaire à ma note de la saison 1 d'Andor en 2023 :
Cela me fait regretter que sa conclusion ne se trouvera nulle part ailleurs que dans la trilogie de l'aventure pulp, alors que son traitement qui s'en éloigne donne envie de voir la version Tony Gilroy de la fin de l'Empire. Un peu comme quand j'étais ado et qu'en regardant la fin de Batman Begins je me disais "Ah c'est dommage que le combat contre le Joker existe déjà dans le Batman de Burton, j'aurai bien aimé le voir dans une suite sous la même forme" (la notion de continuité était différente chez moi à l'époque)
C'est encore plus criant avec cette saison 2 : j'ai vraiment envie de voir la fin du fascisme se faire dans sa version "réaliste", grâce aux efforts des nombreux acteurs de la Résistance, de voir comment ce régime qui a des oreilles partout peut être renversé. Mais ce n'est pas possible parce que c'est la préquelle d'une autre histoire, dans laquelle l'Empire est vaincu par un jeune homme qui devient chevalier et ses potes brigands de l'Espace. J'aime la trilogie originale hein, sa conclusion convient très bien à son registre, mais elle ne colle plus aux ambitions de Tony Gilroy. On a bien Rogue One en guise de conclusion, là pour le coup la continuité est plus nette, mais ça s'arrête quand même en plein milieu du conflit avec l'espoir que tous les sacrifices opérés n'auront pas été vains.
Pour moi Andor est une série qui serait meilleure si elle n'était pas du Star Wars. Elle n'a pas besoin de cet héritage : c'est une histoire de lutte contre du fascisme dans l'espace, sans jedi, sans Force, sans élément de fantasy et sans utilisation directe des personnages des films numérotés. On mentionne Palpatine et Tarkin, mais ils sont largement remplaçables par de nouveaux dictateurs ou généraux. On parle de l’Étoile Noire, mais c'est juste l'équivalent galactique d'une bombe H. D'ailleurs l'aspect SF aussi est presque optionnel finalement : si on a souvent dit de Star Wars qu'il aurait pu être de la medieval fantasy, je trouve qu'Andor aurait très bien marché en tant que fiction politique située dans un monde fictif correspondant à notre époque. Même l'imagerie Star Wars est limitée au maximum : les espèces intelligentes non humaines sont rares et n'ont pas de rôle important, les droïdes n'interviennent que pour faire apparaître K parce qu'il doit accompagner Cassian dans Rogue One (et son utilisation omet totalement de creuser l'aspect dérangeant qu'il y a à le reprogrammer comme on laverait le cerveau d'un CRS).
Il y a une scène avec des stormtroopers qui forment une unité d'intervention dans un immeuble, et je me suis demandé pourquoi ils ne portaient pas leur casque alors que le reste de leur uniforme est standard. Ce n'est manifestement pas pour les humaniser parce qu'ils n'ont ni nom ni personnalité marquée, et ce serait logique qu'ils gardent leur casque comme tout le monde, tous les groupes d'intervention modernes font ça et c'est le visage de l'Empire. La seule raison que j'ai trouvée, c'est que leur vrai visage sérieux les rend plus effrayants. Alors que quand ils portent ce casque, ils ne ressemblent plus qu'à ces figurants photocopiés qui ne savent pas viser et se font descendre par paquets de 12 depuis le premier film. Ce design iconique de Star Wars est devenu synonyme de méchants soldats qui se font tourner en bourrique par les héros et se prennent des portes sur la figure, ils ne peuvent plus faire peur dans une série comme Andor. Et se rendre compte de ça, je vous avoue que c'est assez badant.
J'ai eu l'impression que cette série ne voulait pas être du Star Wars mais que cette licence était le seul moyen pour Tony Gilroy de concrétiser son projet (je ne sais pas ce qu'il a dit à ce sujet, n'hésitez pas à me contredire s'il a infirmé cette théorie). Si Andor n'avait pas été liée à la guerre des étoiles, est-ce qu'on en aurait entendu parlé ? Est-ce qu'elle aurait été produite, médiatisée et renouvelée ? Est-ce qu'il y aurait eu un public intéressé ? Avec l'industrie sérielle actuelle, je ne sais plus. Je préfère encore qu'Andor existe sous cette forme plutôt que pas du tout, c'est une très bonne série qui a l'occasion d'être découverte par un large public comme un cheval de Troie. Peut-être qu'il faut davantage prendre ça comme une fan-fiction où un auteur profite de l'opportunité qui lui ait faite de laisser sa trace dans un univers qui lui plaît, de la manière qui l'intéresse (EDIT : il semblerait que Tony Gilroy ne soit pas plus fan que ça en fait). Cela se vaut sans doute, et je comprends qu'on y trouve son compte, moi-même j'ai aimé la série pour ce qu'elle est. Mais la perspective qu'il faille passer par le filtre d'une licence juteuse pour intéresser le public et les investisseurs devient de plus en plus pesante pour moi.