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La justice au service du puritanisme et le procès du libertinage.

Dominique Strauss-Kahn a été acquitté et relaxé trois fois. Trois. Une fois par la justice américaine. Deux fois par la justice française. Pourtant, malgré cela, l'homme est entaché par une réputation tellement affreuse que même Marc Dutroux ou Michel Fourniret paraissent quasiment être des parangons de vertu. Figure pantagruélique et lubrique, l'ancien Président du FMI a d'abord été la victime de son époque, et surtout d'une nouvelle justice occidentale qui, même si elle prend des formes différentes aux Etats-Unis et en France, est traversée par les mêmes débats cruciaux, à savoir la place démesurée de la victime et le renversement de la charge de la preuve au détriment du prévenu. Si les Révolutions américaines et françaises avaient coupé court à des siècles de justice pénale archaïque grâce notamment à la présomption d'innocence, la pleurnicherie des victimes et le nouvel ordre moral, proche de l'Inquisition dans ses méthodes et sa philosophie, la poussent au retour des procès en sorcellerie. Ainsi, le prévenu n'est plus celui qui transgresse la loi démocratique et nécessaire, mais celui qui transgresse la norme morale, et qui, soudain, se voit reprocher sa vie entière, et dans le cas de DSK : sa puissance certes, sa religion aussi, sans doute, mais surtout son libertinage. Alors, j'entends bien que les victimes n'ont peut être pas menti comme 95% d'entre elles, (encore que les Parquets américains et français aient conclu au manque de preuve ce qui force le citoyen raisonnable à trancher en principe en faveur de DSK), j'entends bien que la justice américaine est une horreur, compte tenu de son parti-pris accusatoire et de classe sociale, permettant l'existence de transactions et de cautions faisant échapper les riches à la détention provisoire, j'entends bien que DSK n'est sans doute pas le premier des gentlemen ou le plus grand des humanistes (et certainement pas un grand politique de gauche), mais le traitement judiciaire, politique et médiatique de sa personne est des plus inquiétantes.


Oublions la thèse complotiste qui est, sinon peu crédible, du moins non prouvée, et penchons nous vers le constat tragique propre à la justice américaine et française (même si la deuxième est sans doute de meilleure qualité de ce point de vue) : DSK a été innocenté, rien n'a été prouvé contre lui et POURTANT, l'opinion publique et médiatique continue de le tenir pour coupable. En cause ? Une prétendue justice aux ordres. Compte tenu de l'arrestation spectaculaire et humiliante de l'une, et la jouissance à convoquer de l'autre, rien n'est moins sur. En réalité, de plus en plus, surtout dans ces contentieux, la charge de la preuve est en train de se renverser et la présomption d'innocence mute en présomption de culpabilité. Face aux victimes angéliques et innocentes, qui prennent la salle d'audience pour le bureau d'un psychologue, et allèguent de manière plus ou moins vraie, plus ou moins crédible, alors même que la justice des pénales des Lumières a été fondé pour les écarter du procès, l'accusé est forcément un peu coupable, d'autant plus quand il est libertin et, comble de l'horreur!, fréquente les soirées échangistes et les prostituées. La haine portée à cet homme ressuscite le pire de la justice protestante et calviniste, qui colonise la justice française comme sa culture, qui brûle et met au piloris l'homme libéré et montre du doigt le transgressif, l'infidèle et le frénétique. Les grands inquisiteurs, les maccarthystes et les tristes corbeaux de malheur se sont parés d'écarteurs, de sarouels et de teinture bleue : pour le même tragique et désespérant résultat. Qu'un homme soit innocent ou coupable, peu importe, que le droit doive primer sur la morale, peu importe, que la Loi n'interdise pas les actes reprochés, peu importe, que les victimes ne soient pas très crédibles et aient touché certaines drôles de somme d'argent, peu importe : la haine du corps et du sexe, face au puritanisme ancien, la religion, et au puritanisme nouveau, la diabolisation des déviances sexuelles, est devenue le nouveau Livre Saint des peuples occidentaux, et de sa justice qui plie, plie et ne cède pas encore. Mais c'est pour bientôt.

PaulStaes
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le 9 déc. 2020

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Paul Staes

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