L’essor des plates-formes a ceci d’intéressant qu’il permet paradoxalement une certaine liberté aux auteurs. Cette phase où les géants du streaming vont draguer certains auteurs stars pour enrichir leur catalogue est très évidemment éphémère, et la fin de la récréation risque d’être sonnée dans des délais assez courts. Il n’empêche qu’entre temps, certains en auront profité pour aller au bout d’une démarche que les studios leur avaient (ou leur auraient) refusé : c’est Scorsese avec The Irishman (et le très dispendieux Killers of the Flower Moon à venir sur Apple TV+), ou récemment Iñárritu et son très autocentré Bardo, et Refn qui, après avoir fait un hold-up sur Prime avec Too old to die young, déménage sur Netflix.
Copenhagen Cowboy, sur le papier, semblait renouer avec les débuts de sa carrière, par un retour au pays natal et les retrouvailles avec Zlatko Buric qui s’illustrait déjà dans la trilogie Pusher. En réalité, Refn poursuit le virage amorcé dès Only God Forgives il y a dix ans, et approfondit des obsessions qui tournent en boucle, en profitant du format de la série pour les étendre sur une durée souvent déraisonnable. On retrouvera donc son amour pour les néons bleus et roses, la lenteur étudiée de panoramiques à 360°, les nappes synthétiques de Cliff Martinez, la posture hiératique de personnages statufiés dans un décor cadré au cordeau, une photographie digne des meilleurs papiers glacés et un attrait jamais démenti pour la violence. Autant d’éléments qui semblent néanmoins moins prononcés que dans Too old, comme si le cinéaste avait fait quelques concessions : la durée est divisée par deux, la violence bien moins graphique (il arrache un +16 ans sur Netflix), et d’une manière générale, l’œuvre moins radicale, se contentant de suggérer ses marottes habituelles (violence sexuelle, cannibalisme, inceste), bien plus explicites dans la série précédente.
C’est aussi sur l’écriture que l’ensemble se révèle plus bancal : les épisodes et les univers se succèdent avec une certaine répétition (la thématique de l’exploitation des femmes, le patriarcat sous l’angle mafieux), et la progression réelle au profit d’un arc général n’est pas toujours convaincante. La pose l’emporte souvent, même si c’est évidemment une signature de NWR, qui jubile très probablement à l’idée de faire exploser de rage ses contempteurs.
Mais c’est aussi là l’intérêt de ce nouveau projet que de se prendre un peu moins au sérieux que son très éprouvant prédécesseur. Le cinéaste convoque certes de nouveaux motifs, comme la présence animale (les cochons sont au premier plan, allant jusqu’à imprimer leur langage dans la bouche de certains protagonistes), travaille comme jamais le son (pour accroître le gore hors-champ, ou lors d’une d’un combat chorégraphique tout à fait réjouissant) et s’ouvre à des délires graphiques inédits (les papiers peints à fleurs, notamment). Et si NWR amplifie certains éléments, il en module d’autres : la sorcellerie, déjà inhérente chez ses personnages féminins précédents, est ici décuplée (avec un potentiel lien extra-terrestre), au point de jouer avec une sorte de dérision comique tout à fait bienvenue. La peur qu’inspire la protagoniste, sa dimension badass improbable et le ridicule de certaines figures masculines permettent des parenthèses assez réjouissantes, notamment dans la figure d’un père obsédé par le pénis, ou un groupe de business men à la masse parmi lesquels le réalisateur s’offre un caméo muet, comme pour s’associer pleinement à la dérision et la malice nécessaires pour aborder son travail.
La structure en escalier prend ainsi des proportions assez plaisantes, le spectateur se mettant dans des dispositions où tout est possible, et où le chemin tortueux des sévices ménage surtout un boulevard pour la revanche des opprimées dans des bastons salutaires. Le soin apporté à l’esthétique glacée, le caractère clipesque des séquences s’enrichit d’un regard qui n’exclut jamais la dimension parodique, et les développements de plus en plus délirants de l’intrigue peuvent aboutir à de véritables éclats de rire. C’est probablement ici que se construire l’intérêt assez fascinant de l’œuvre de NWR : sur cette crête instable où sont mobilisés l’arsenal esthétique le plus solide et les éléments d’écriture destinés à le désacraliser. Au point de générer une fascination nouvelle, qui donne envie de laisser s’épanouir les figures en gestation dans la fin de l’ultime épisode laissant augurer une saison 2, dont l’existence semble néanmoins on ne peut plus fragile tant est radicale la proposition.
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