Evacuons d'entrée le sujet qui fâche un peu alors qu'il devrait s'agir avant tout d'évoquer une œuvre (fut-ce une série documentaire), la forme ou plutôt l'iconographie nauséeuse, mise en place par ce documentaire composée d'images et de bandes audios enchevêtrées et répétées en boucle, dans un enchainement de plans très rushés rappelant les éclairages stroboscopiques, des intervenants présentés de dos dans une mise en scène à l'aura mystérieuse, faisant écho au sensationnalisme bon marché typique des productions documentaires Netflix...
Lorsque l'on songe par exemple au traitement élégant et pudique choisi par la victime elle-même dans la mise en lumière de l'affaire de viol au cœur de "Black Box Diaries", on se dit qu'il y bien d'autres manières d'interpeller et rallier un auditoire à sa cause que cette retape journalistique qui atteint son paroxysme lorsqu'elle reprend les images (choquantes à l'époque) du transfert de Marie Trintignant en état de mort clinique que sa mère Nadine tente avec ses mains de protéger des flashes de cette "Bande de chiens" comme elle appelle ceux qui ne reculent devant aucune indignité.
Pourtant, la forme documentaire, plus que tout autre, suppose de s'attacher avant tout au contenu et Il n'est évidemment pas question de remettre en cause l'opportunité de ce triptyque, (ô combien indispensable), ni le labeur titanesque effectué par les 4 journalistes, véritable travail d'enquête pour reconstituer la chronologie "des" affaires Cantat, puisque sont évoqués le meurtre de Marie Trintignant et le suicide de Krisztina Rády, la femme du ...type qui pendant qu'elle se passait la corde au cou dormait paisiblement un étage plus bas...
La découverte des vidéos des interrogatoires de l'assassin par la police Lituanienne, l'abjection de la mise en scène de son chagrin , celle également de la couverture de l'événement dans les journaux et diverses émissions de débat font frissonner et auraient tout à fait pu se passer de "l'enrôbage" évoqué plus haut. "De rockstar à tueur : le cas Cantat", revient donc à la source du drame en 2003, lorsque l'hypothèse de l'accident prévalait encore , et sur l'argumentaire développé par la grande majorité des commentateurs, renvoyant dos à dos les deux amants, qui se seraient abîmés dans une dispute violente, chacun (ou presque) déplorant un drame de la jalousie, puis un crime passionnel lorsque le meurtre fut avéré (qui en droit Lituanien à l'époque permettait de diviser par deux les peines encourues), soulignant l'accablement et la tristesse du chanteur et certains avec une ignominie assumée le fait que Marie Trintignant ait eu plusieurs maris déjà
Je ne connais pas Marie Trintingnant, je ne vais pas dire qu'elle n'avait pas, mais, ce qui est fondamental chez lui,(Cantat) c'est la fidélité, il ne s'est pas marié trois fois, lui
(Arnaud Viviant, journaliste aux Inrock)
ou bien les propos similaires du frère de Cantat, sous le regard complaisant (dira la narratrice) d'Ardisson.
A l'exception de quelques voix dissonantes et malheureusement peu entendues à l'époque, notamment celle de Richard Kolinka, batteur de Téléphone, (ancien époux et père du dernier enfant de Marie), de Lio, de deux autre ex-époux qui s'insurgent contre cette dialectique nauséabonde, une sorte de cause commune emporte l'adhésion autour de l'aspect dramatique de l'événement et du malheur qui frappe également le chanteur et ses fans inquiets pour l'avenir du groupe (?) jusqu'à l'ex femme de Cantat, Krisztina Rády (abandonnée par le bonhomme sur le point d'accoucher), qui attestera au procès que l'homme n'a jamais été violent avec elle, ce qui justifiera probablement une division de la peine de moitié, car les violences étaient inhabituelles.
L'hystérie supposée de Marie, ses quatre mariages, un accès de violence ponctuel, la popularité de Noir Désir et de son chanteur emblématique (poète torturé dira en substance P.Nègre d'Universal, très préoccupé par l'idée que l'on tue sa poule aux oeufs d'or), Cantat libre quatre ans plus tard seulement et remontant sur scène, constituent autant d'éléments qui permettent au documentaire d'aborder une autre question fondamentale : faut-il séparer l'homme de l'artiste ? (à la manière de Cantat qui sépara l'homme de la bête ?)
Là encore, le documentaire induit habillement des éléments de réponse, reprenant les témoignages imposés comme une évidence, face à ceux plus marginaux cette fois, mais empreints d'une profonde indécence * qui consiste à envisager qu'un type qui a massacré sa compagne, sans lui porter assistance par la suite, songe à se produire devant un public venu faire communion avec lui ou même à accorder un entretien fleuve aux Inrocks (très "à la pointe" dans cette affaire), quelques semaines après le suicide de Krisztina Rády, drame qui occupera la troisième partie d'une série très impactante.
* À chaque fois que j’entends ce nom, je pense à la douleur des parents de Marie, à celle de ses enfants et de ses proches. Des gens ont des théories comme quoi il a payé sa dette. Il n’a rien payé du tout. Que ces gens se demandent : si on massacrait leur fille, est-ce qu’ils pardonneraient à l’ordure qui a fait ça ? Il a été minable du début à la fin. C’est même plus que minable. »
Les violences conjugales, ce n'est pas un crime intime derrière la porte de la chambre à coucher. Ça touche énormément de gens. Quand une femme est tuée sous les coups de son compagnon, ça crée une souffrance bien plus large que sa victime, celle de sa famille, de son entourage, de ses amis. C'est vraiment tout un cercle qui va être traumatisé à vie.
(Richard Kolinka)
Ceux qui sont choqués ne vont pas le voir en concert . Ces gens-là, les artistes sont des écorchés
(Pascal Nègre)