Louable, mais raté
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le 27 oct. 2025
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Le terrorisme cherche à détruire en nous notre humanité. On pourrait résumer l’objet de la série « Des Vivants » par cette simple formule et son profond rayonnement après les attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui ont ensanglanté et ébranlé Paris et la France tout entière.
La série de Jean-Xavier de Lestrade, qui sort tout juste 10 ans après ces évènements dramatiques ne porte pas à proprement parler sur les attentats eux-mêmes, mais sur leur impact sur certaines des victimes du Bataclan, prises en otages, durant 2h30, par deux des trois terroristes de la salle de concert parisienne, avant d’être sauvés par la BRI dans des circonstances hallucinantes.
« Des Vivants ». Il faut s’arrêter sur ce titre qui signifie implicitement qu’il y a, là, des vivants, et aussi des morts tout autour. Beaucoup de morts : 130 au total. Plus de 90 pour le seul Bataclan. Et d’innombrables vies ravagées par la violence extrême des ces actes barbares du 13 novembre. Des vivants qui ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas morts, comme les autres. Et c’est là au fond ce qui les empêche de vivre. De ne pas être morts.
Je ne cacherai pas mon admiration pour ce travail extraordinaire qu’a réalisé Jean-Xavier de Lestrade sur un sujet d’une difficulté extrême. Comment parler encore des attentats terroristes de Paris sans tomber dans la redondance de ce qui a déjà été dit, et redit, et redit encore ? Comment parler au cinéma, comment faire un film, une série, de ces évènements sans bafouer et insulter les victimes, les morts, et les survivants ? Et les autres, toutes celles et ceux qui ont fait partie des victimes collatérales, les enfants, les proches, les familles.
En parlant de l’humanité des survivants. Tout simplement. De leur humanité. De ce que ces terroristes de Daech, qui sont des nihilistes obnubilés par la mort, ont cherché à détruire au Stade de France, sur les terrasses des cafés, dans le brouhaha du Bataclan. La vie. La joie de vivre. Le plaisir d’être ensemble. De faire ensemble société. De profiter en buvant un coup. D’assister à un match de foot. De se défouler dans un concert des « Angels of Death Metal ». De vivre ensemble. D’être humain.
Les terroristes ont laissé derrière eux beaucoup de morts. Et quelques vivants. Ravagés. Ebranlés. Fragiles. Et ces vivants là, comme l’exprime la devise de la ville de Paris : Fluctuat Nec Mergitur, plient mais ne sombrent pas. C’est ça que veut montrer Jean-Xavier de Lestrade durant les 8 épisodes de sa série. La force des victimes, leur humanité. Et ces victimes là se battent pour se maintenir à flot, pour survivre, et pour se redresser, revivre, redevenir des humains à part entière.
Leur combat pour s’en sortir, leur fragilité, c’est justement ça leur humanité. Cette part là que les terroristes ont tenté de détruire avec leurs Kalachnikovs et leurs ceintures d’explosifs. Mais cette humanité là est indestructible car c’est la volonté de vivre qui la constitue, qui la conditionne. Elle est irréductible. C’est ça, selon moi, que nous montre « Des Vivants » sur plus de 8 heures, cette irréductibilité de l’humanité de celles et ceux qui veulent vivre, comme Marie, David, Arnaud et les autres. Le nihilisme des terroristes de Daech est impuissant face à cette humanité des victimes, des vivants. Car rien n’est plus fort que l’envie de vivre. Que la volonté de vivre.
« Des Vivants » nous ébranle au plus profond car c’est de nous que ça parle. On aurait toutes et tous pu être au Bataclan. C’est juste une question de hasard, des circonstances. Et Jean-Xavier de Lestrade nous montre ce qu’aurait été notre combat pour nous relever de cette horreur. Il prend le temps de nous faire pénétrer dans l’intimité de chacun et chacune des survivant(e)s. Le réalisme de la réalisation et de la mise en scène est porté par une pléiade de comédien(ne)s vraiment exceptionnel(le)s ! On est avec eux. On souffre avec eux. On tombe avec eux. Et on se relève avec eux pour nous battre encore et toujours contre les forces de la mort, pour planter là ces quelques paumés fanatisés qui viennent à Paris, sapés en jogging baskets, pour flinguer des gens au hasard.
Quel beau travail que cette série là ! Quelle intelligence dans l’approche, dans l’écriture du scénario, dans la façon de diriger les comédiens. Le réalisme de Jean-Xavier de Lestrade, qu’on connait bien depuis ses documentaires, « Un Coupable idéal », « Soupçons » et ses séries, « Laetitia », « Sambre », « Jeux d’influence », son réalisme proche du documentaire dégage une force inouïe à l’image et énormément d’empathie pour ses personnages, les survivants du Bataclan. Il fallait bien au moins ça pour rendre hommage à ces victimes, à ces vivants, qui viennent nous montrer à quel point le terrorisme est un échec, car on ne peut pas triompher de la vie, de l’envie de vivre, de la joie de vivre et d’être ensemble. Du désir de faire humanité. C’est juste une illusion. Une hérésie.
Et cette envie de vivre et d’être ensemble, de faire humanité, elle éclate littéralement durant cette scène extraordinaire où les « Potages » (comme ils s’appellent eux-mêmes) chantent de concert et à tue tête cette chanson de Daft Punk « Get Lucky » dans un café parisien. Cette chanson electro-disco, légère, frivole et joyeuse, comme l’envie de vivre et d’être heureux :
« We’re up all night ‘til the sun, We’re up all night to get some, We’re up all night for good fun, We’re up all night to get lucky » (Nous restons debout toute la nuit jusqu’à l’aube, nous restons debout toute la nuit pour en avoir, nous restons debout toute la nuit pour nous éclater, nous restons debout toute la nuit pour prendre notre pied).
Cette scène magnifique est reprise à la toute fin de la série, après le procès des attentats du 13 novembre, pour la refermer et la troupe la rechante une seconde fois, à l’unisson et à tue tête, comme pour dire aux terroristes de Daech : Hey, les gars, on vous emm…de , rangez vos Kalachs et vos ceintures, on est vivants, toujours vivants et bien vivants ! Et on va s’éclater jusqu'au bout de la nuit ! Jusqu’au bout de la vie ! Parce qu'on est vivants !
Créée
le 1 nov. 2025
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le 27 oct. 2025
9 j'aime
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il y a 7 jours
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