Frères d'armes
8.2
Frères d'armes

Série HBO (2001)

Voir la série

Le soixante-cinquième anniversaire du Débarquement en Normandie m'avait semblé l'occasion idéale d'écrire sur Band of Brothers, la mini-série phare d’HBO, mais les aléas ont voulu que je rate le coche à près d'un mois près. Baste(ogne), quelle important, au fond ? Comme si j'avais besoin d'un événement particulier pour célébrer ce que je considère à ce jour comme le meilleur programme de télévision que j'ai jamais vu.


Un temps, j'ai pu penser qu'une autre série signée HBO, Game of Thrones, aurait été en mesure de le détrôner (jeu de mot volontaire), mais non, dix-huit ans après sa diffusion le constat reste le même. À l'issue du marathon, la série de Weiss et Benioff en est encore à se traîner la boue pour arracher une humiliante médaille de bronze, Breaking Bad a joué la gagne et n'a jamais démérité, mais Band of Brothers joue dans une autre catégorie, tout simplement.


Ne serait-ce cependant pas un tantinet injuste de comparer ainsi une mini-série de dix épisodes, une série en cinq saisons et une en huit, qui n'ont rien à voir les unes avec les autres ? Sans aucun doute, mais il n'empêche que Band of Brothers est résolument numéro un dans mon estime. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons à cela :


1) Le cadre – La Grande Croisade pour libérer le Monde
2) La mise en scènes – Quand la frontière s'efface
3) Le casting – A very British affair
4) L’écriture – Les Hommes Pour


Le cadre – La Grande Croisade pour libérer le Monde


Band of Brothers ne parle ni des intrigues d'un monde médiéval imaginaire ni de la descente aux enfers d'un prof de chimie devenu trafiquant de drogue : elle parle de notre Histoire, à travers le prisme d'une unités de parachutistes américains, la compagnie E (dite "Easy Company") du 506ème régiment de la 101ème division aéroportée (les fameux "Screaming Eagles"), qui aura été de tous les grands affrontements pour la libération du continent européen, depuis le D-Day jusqu'au VE-Day en passant par la bataille de Normandie, l'opération Market-Garden, la bataille des Ardennes et l'invasion de l'Allemagne.


Forts de l'immense succès international du film Il faut Sauver le Soldat Ryan, lequel avait révolutionné le genre de par son réalisme et sa brutalité, le réalisateur Steven Spielberg et l'acteur Tom Hanks décidèrent de surfer sur cette vague pour adapter le livre de Stephen E. Ambrose consacré à cette petite centaine d'hommes très différents qui avaient le chic pour se retrouver aux endroits les plus "chauds" du champ de bataille – à tel point que Spielberg et Hanks durent couper des passages entiers, jugé trop extraordinaires pour être crédibles, notamment les exploits du capitaine Speirs !


C'est ainsi qu'en se focalisant sur des membres données de la Easy, la série nous entraîne de leur formation rugueuse à Camp Toccoa en Géorgie jusqu'aux préparatifs du Jour le plus Long en Angleterre, des combats dans le bocage normand à la libération de Carentan, de celle d'Eindhoven aux Pays-Bas au sauvetage de paras britanniques encerclés dans les canaux flamands, du siège de Bastogne au combat pour le village enneigé de Foy, d'une patrouille suicidaire à Mourmelon à l'occupation de la villa montagnarde de Hitler à Bertschesgaden, en passant bien sûr par l'horreur du camp de concentration de Landsberg, dans ce qui est probablement l'épisode le plus mémorable de la série.


La mise en scènes – Quand la frontière s'efface


La frontière, c'est celle entre le petit et le grand écran. Mettez Band of Brothers et Il faut Sauver le Soldat Ryan côte-à-côte et le résultat est bluffant : impossible de distinguer le film de la série. The Wire, Les Sopranos, Rome puis GoT allaient pousser plus loin le concept en l'étendant à plus d'une saison, mais c'est véritablement avec Band of Brothers qu'HBO a commencé sa révolution télévisuelle, en repoussant les limites de ce qu'il était possible de créer pour la télévision.


Il faut dire que Spielberg et Hanks n'ont pas lésiné sur les moyens : uniformes, armes, véhicules, tanks, avions, explosions, bidoche, décors, tout est incroyablement soigné et réaliste. Mais là où IFSLSR souffrait d'un énorme décalage entre une première moitié ultra-immersive, dans un style "caméra au poing", et une deuxième moitié beaucoup plus grand-guignolesque et hollywoodienne, dans l'esprit de Fort Alamo, Band of Brothers est beaucoup plus cohésif, malgré la plus grande variété des décors et des batailles : camps d'entraînement aux USA et en Angleterre dans le pilote, bocage normand dans les deux premiers épisodes, village fortifié dans l'épisode 4, canaux néerlandais dans l'épisode 5, forêts enneigées des Ardennes dans les épisodes 6 et 7, ruines de Mourmelon dans l'épisode 8, camp de concentration dans l'épisode 9 puis montagnes bavaroises et autrichiennes de l'épisode final, le tout reconstitué avec minutie.


En ce qui concerne les nombreuses séquences de combats, le style est là encore calqué sur le film de Spielberg, avec sa photographie grisâtre faisant ressortir feu et sang, son entière immersion à hauteur de combattants, son absence de musique, son emphase sur les cris et les sons stridents des rafales, sa brutalité de tous les instants… le tout a formidablement bien vieilli et reste plus réussi que 99% des films de guerre et d'action actuels, sans parler de la télévision.


Le casting – A very British affair


Dépourvu de la moindre star puisque son imposant budget passe tout entier dans la reconstitution de la Seconde Guerre Mondiale, Band of Brothers se sera en fin de compte révélé un formidable vivier à talents… essentiellement issus du Royaume-Uni ! Pas si surprenant, puisque c'est là que furent tournées la majorité des scènes. Cette mesure d'économie ne s'est néanmoins avérée nullement préjudiciable, tout au contraire, à commencer par l'interprète principal, celui de Dick Winters, qui commanda la Easy durant la majeure partie de sa campagne européenne : j'ai nommé l'excellent Damian Lewis, qui apporte ce qu'il faut d'autorité et d'humanité à un rôle exigeant, qui aurait pu très vite tomber dans la caricature tant Winters semble cumuler les vertus américaines, mais la perfection du tempo de Lewis confère toute sa crédibilité à son interprétation de l'homme le plus respecté de sa compagnie.


À ses côtés, Ron Livingston campe avec chaleur et mélancolie son meilleur ami, l'officier des communications Lew "Nix" Nixon, fils de bonne famille, bienveillant mais cynique et alcoolique. Marc Warren joue le fragile soldat Bligh le temps de l'épisode 3, Donnie Wahlberg (frère de Mark) apporte sa sensibilité à Carwood Lipton, véritable "roc" de la compagnie, Scott Grimes, Rick Gomez et James Madio leur humour décapant aux soldats Malarkey, Luz et Perconte respectivement, Frank John Hughes sa causticité au sergent Guarnere, tandis que Matthew Settle ajoute ce qu'il faut de sinistre à l'aura du mystérieux capitaine Speirs et que Neal McDonoghue, Michael Cudlitz et Dale Dye sont plus vrais que nature en lieutenant Compton, sergent "Bull" Randleman et colonel Sink respectivement. Oh, et n'oublions pas David "Ross" Schwimmer, excellent et surprenant en tyrannique capitaine Sobel !


La liste est longue tant le casting est parfait de A à Z, mais citons également Stephen Graham (Al Capone de Boardwalk Empire), Andrew Scott (Moriarty de Sherlock) ou Dexter Fletcher (réalisateur de Bohemian Rhapsody et Rocketman ces deux dernières années) parmi les guest-stars britanniques appelés à un brillant avenir, sans oublier, last but not least, messieurs Michael Fassbender et James McAvoy, bien que le fan des X-Men en moi regrette énormément qu'ils n'aient aucun scènes ensemble !


L’écriture – Les Hommes Pour


Il y a de quoi relativiser l'américanophobie française du début du XXIème siècle lorsqu'on voit le succès d'une série consacrée à l'US Army dans l'Hexagone. Mais de succès, en tout cas critique, il n'y aurait jamais eu si Band of Brothers avait ne fut-ce que flirté avec la propagande et l'hagiographie à la sauce Pearl Harbor de Michael Bay. Steven Spielberg et Tom Hanks sont heureusement plus intelligents que cela, qui nous offrent une série dont le message traverse les frontières : celui de l'expérience des hommes au combat, de ce sentiment unique de fraternité qui ressort de l'horreur, d'où le titre emprunté à Henry V de Shakespeare, Acte IV Scène 3.


Cette universalité, Band of Brothers la revendique totalement, ce qui n'est jamais aussi évident que lors du discours du général allemand à la fin du dernier épisode. Cela ne signifie pas pour autant que l'on perde de vue d'où viennent les soldats de la Easy et ce pourquoi ils se battent, mais le patriotisme un peu outrancier qui avait fait s'ouvrir IFSLSR sur le Star Spangled Banner flottant au vent n'est ici pas de mise. Cela signifie également que les protagonistes ne sont pas idéalisés : ainsi de l'antisémitisme de Guarnere, de la rapacité de Speirs, de sa possible exécution de prisonniers, de l'assassinat d'un ancien gardien de camp par Liebgott, du craquage de Compton… la guerre prend son dû en vies comme en âmes. Une scène particulièrement réussie du neuvième épisode voit nos paras hausser les épaules et même ricaner à la vue de soldats français défoulant leur esprit de revanche sur des prisonniers allemands…


Et même lorsque le script et/ou les personnages se font un poil trop caricaturaux, ou que l'on s'enfonce légèrement dans le territoire du cliché, les interviews des vétérans en début d'épisode viennent nous rappeler que non, ce n'est pas de la fiction, ces gens ont bien existé et l'enfer dépeint à l'écran, ils en ont vécu chaque seconde. Je vous mets au défi de ne pas pleurer au moins une fois en entendant les témoignages de ces braves vieillards qui ont sacrifié leur jeunesse pour nous.


Regarder Band of Brothers, ce n'est pas seulement s'instruire sur la Seconde Guerre Mondiale et ceux qui l'ont vécue, ce n'est pas seulement s'émerveiller de la qualité du travail d'HBO, de la musique du regretté Michael Kamen et du jeu des acteurs, c'est aussi rendre hommage à de vrais héros, à qui nous devons tant, une génération qui aura tout risqué pour que nous puissions nous installer confortablement dans notre canapé et admirer leurs exploits, leurs peurs, leur vulnérabilité, leur humanité. Si je me puis me permettre de citer William S. moi aussi :


Let us sit upon the ground and tell sad stories of the death of kings…
(Richard II, Acte III Scène 2)

Créée

le 16 juil. 2019

Critique lue 482 fois

2 j'aime

Szalinowski

Écrit par

Critique lue 482 fois

2

D'autres avis sur Frères d'armes

Frères d'armes
Gand-Alf
9

Liés par le sang.

Forts de leur précédente association avec la mini-série "De la terre à la lune", le cinéaste Steven Spielberg et le comédien Tom Hanks remettent le couvert et adaptent l'ouvrage de Stephen Ambrose,...

le 15 août 2014

39 j'aime

Frères d'armes
pouahpouah
8

Quand les Américains parlent de la Deuxième Guerre mondiale...

*ATTENTION SPOIL* J'ai un problème avec Band of Brothers. Parce que, comme à chaque fois que les Américains essayent de traiter de la Seconde Guerre mondiale, il y a du très bon et du nettement moins...

le 25 avr. 2011

32 j'aime

12

Frères d'armes
__Clap
9

Critique de Frères d'armes par __Clap

Encore une histoire sur la Seconde Guerre Mondiale, encore des Américains... oui mais là on parle d'une série qui est d'autant plus créée par Spielberg et Tom Hanks, certes ça ne fait pas tout mais...

le 17 avr. 2010

23 j'aime

5

Du même critique

L'Empire contre-attaque
Szalinowski
10

Le film le plus humain de la saga

Empire strikes back contient ma scène préférée de toute la saga Star Wars. Non ce n'est pas l'apparition des quadripodes sur Hoth. Ce n'est pas non plus la grotte de Dagobah, ou Yoda qui soulève le...

le 26 mai 2015

15 j'aime

2

Babylon Berlin
Szalinowski
8

Guten Morgen Berlin, du kannst so schön schrecklich sein...

N'ayant jamais lu aucun des polars à succès de Volker Kutscher, je n'ai pourtant pas attendu la bande-annonce très réussie de ce qui était alors annoncé comme "la série allemande la plus chère et la...

le 11 avr. 2019

14 j'aime

Atlantique, latitude 41°
Szalinowski
8

Nearer My God To Thee

Je dois faire partie des trois péquenauds au monde (les deux autres étant mon huissier et mon chien) n'ayant jamais vu le Titanic de James Cameron. À l'époque, ni la perspective des effets spéciaux...

le 5 févr. 2021

12 j'aime

9