le 3 juin 2017
And now my watch is not going to end
Game of Thrones n’est pas une série banale. Bien qu’elle n’ait pas le plus gros budget de l’histoire des séries télévisées, ni même les meilleurs salaires pour ses acteurs, elle est considérée à...
SensCritique a changé. On vous dit tout ici.
Voir la série
Après moults essais de passer l'épisode 3 de la saison 1 il y a une dizaine d'années, j'ai essayé tant bien que mal de m'y plonger, je garde notamment le souvenir de la visite de George R.R. Martin, faisant signer ses romans à Dijon, et que j'ai pu croiser à l'occasion. Mais rien n'y fait, je n'entrais pas dans l'univers. Puis vint l'été 2025 où j'ai enfin pu passer le cap et regarder la série entièrement.
La série est fidèle à l'image négative que je m'en faisais : certains épisodes semblaient presque cocher une liste : nudité frontale, viols, inceste, mutilation, meurtre brutal, le tout pour satisfaire les pulsions adolescentes du spectateur avide de nihilisme moral, d'univers où la mort ou la trahison sont presque banalisées. Une volonté d’être "adulte", mais qui passait par des accumulations de scènes malsaines, et non par une vraie maturité psychologique ou philosophique.
Le succès massif de GoT dit tout de même quelque chose d’un public désabusé, attiré par une œuvre qui casse les codes du héros classique, là où d'ordinaire, cette série aurait dû rester cantonné aux cultures underground de cinéphiles nerds.
Cependant, passé ce cap qui m'a rebuté aux premiers abords, j'y ai vu une série qui porte en elle d'indéniables qualités. En effet, avec le recul, j’ai commencé à en percevoir davantage les nuances, les strates de lecture plus profondes. Ce basculement s’est nourri d’un regard plus attentif aux enjeux politiques, au traitement du pouvoir, à la manière dont la série explore la complexité des motivations humaines dans un univers dur, désenchanté mais cohérent. Game of Thrones s’est alors imposée à mes yeux comme une œuvre où la philosophie politique occupe une place centrale, traitée avec une densité que bien peu de productions contemporaines osent même effleurer. Ce que j’avais pris pour du cynisme gratuit m’est apparu comme une forme d’honnêteté anthropologique, une lucidité sur la nature humaine, les institutions, les jeux de pouvoir. Je pense notamment à la fable de Varys qui montre que George R.R. Martin, l'auteur des romans, était probablement lecteur de Machiavel, qui semble quand même l'auteur politique le plus fondamental de l'auteur des romans, dont l'originalité, en politique comme dans l'exploitation des exemples historiques et des mythes, me semble résider dans la capacité d'utiliser, sans aucune fioriture ni variation, un matériel disponible pour exploitation immédiate : exemple : l'utilisation par Arya de l'épisode d'Atrée faisant manger à Thyeste sa délicieuse tourte. Dans le monde généralement inculte des spectateurs moyens, le nombre et la variété des références semble de l'imagination romanesque alors qu'ils ne sont que l'exploitation judicieuse de lectures amples et diversifiées. (C'est, à mon avis, adjoint à une absence de manichéisme grossier, l'une des principales raisons de l'écrasante supériorité de Martin sur Tolkien et de GoT sur LotR. GRRM en est très conscient : voir ses interviews où il rend hommage à JRRT tout en assumant pleinement que le "disciple" n'en est pas un et a dépassé le "maître".)
Par ailleurs, si le fond de la série a fini par me convaincre, sa forme m’a tout simplement ébloui. Les batailles (dès la bataille de La Néra), notamment à partir de la saison 6, atteignent une intensité rarement vue à la télévision. La bataille des Bâtards, la Longue Nuit ou la destruction de Port-Réal sont autant de moments de mise en scène virtuose, où la caméra ose plonger au cœur du chaos, faire ressentir l’horreur de la guerre, la confusion, la peur, sans jamais sacrifier la lisibilité de l’action (ce qui n'est franchement pas évident dans le cinéma actuel, qu'une série y arrive davantage est significatif).
Mais pour moi Game of Thrones est avant tout une série d’acteurs, au sens où le jeu, la présence scénique et la puissance du verbe y sont centraux. À l’instar des tragédies classiques ou des grands films de studio des années 1950, ce ne sont pas les effets spéciaux ou les rebondissements spectaculaires qui font la substance des scènes clés, mais bien la confrontation d’interprètes habités, capables d’incarner des figures complexes et ambiguës. On pense à Lena Headey dans le rôle de Cersei, dont chaque regard ou silence est une leçon de menace contenue ; à Charles Dance - qui est pour moi l'acteur le plus charismatique de la série -, dont le calme glacial évoque les grands tyrans shakespeariens à l'instar de son ancêtre spirituel irlandais Richard Harris interprétant Cromwell ; ou encore à Peter Dinklage, un superbe Tyrion.
Enfin, comment ne pas parler de la musique de Ramin Djawadi : sa partition épouse les évolutions narratives avec une justesse rare, donnant naissance à des thèmes inoubliables notamment "Light of the Seven", qui accompagne le piège tendu par Cersei dans la saison 6 avec une lenteur glaçante.
À rebours des réactions majoritaires, qui soutiennent encore aujourd'hui que l'ultime saison a été bâclée et rapidement expédiée par la production alors que l'attente conjuguée aux déferlements publicitaires entretenus par HBO et les annonceurs médiatiques via les 4 grands (GAFA) laissait entrevoir l'ouverture d'un grand final particulièrement travaillé dans les scenarii comme dans la mise en scène, et donc que la déception est des attentes non-réalisées et faussement entretenues par HBO. De mon œil de spectateur qui a pris le train après coup et regardé cette dernière saison avec 6 ans en retard, trouvé la saison 8 cohérente, puissante et à certains égards brillante, l'épisode 5 étant absolument incroyable au niveau de la réalisation, le fait qu'il ait été aussi mal noté est incompréhensible, alors qu'on ne verra probablement jamais une telle chose à la télévision durant les prochaines années. Probablement dû au fait que j'ai regardé la série d'une traite, et que je n'ai pas eu à attendre des années entre les saisons, à ressasser ad nauseam les épisodes déjà sortis durant ce temps, me faire une idée précise de ce que doit être ma seule et unique vision du scénario et du destin des personnages, je n'ai pas ressenti d'aigreur devant le formidable spectacle qui m'a été proposé. Le basculement de Daenerys dans la violence absolue n’est pas, comme on l’a trop souvent dit, une trahison de son personnage. C’est au contraire l’aboutissement d’une trajectoire marquée par une certitude messianique, une vision binaire du monde et une foi inébranlable en sa propre légitimité. Depuis longtemps, la série semait les signes de cette dérive : le feu purificateur, les exécutions sans procès, la sacralisation de son pouvoir, etc. Il est évident que ceux qui ont reproché sa "folie" rapide n'ont pas vu ces signes, alors qu'ils ont eu le temps de revoir la série plusieurs fois. Le massacre de Port-Réal est une manière brutale de rappeler ce que produit l’idéalisme aveugle lorsqu’il se croit investi d’une mission rédemptrice. Pareillement pour ce qui concerne la répartition de Westeros dans le dernier épisode, qui incarne selon moi un juste équilibre : Sansa défend l’indépendance du Nord (revendication forte depuis Robb), tandis que Bran, par sa neutralité et sa sagesse presciente, incarne une forme de monarchie post-dynastique. Il est normal qu'à la fin d'une série aussi longue, le statu quo ne soit pas maintenu, ça n'aurait aucun sens, sinon, le principe n'était pas de conserver à la fin de la série la lutte des ambitions qui a ravagé Westeros.
Bravo à HBO, il ne me reste plus qu'à explorer House of the Dragon, désormais.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 Séries
Créée
le 7 août 2025
Critique lue 16 fois
le 3 juin 2017
Game of Thrones n’est pas une série banale. Bien qu’elle n’ait pas le plus gros budget de l’histoire des séries télévisées, ni même les meilleurs salaires pour ses acteurs, elle est considérée à...
le 28 févr. 2014
Mettons nous d'accord : Game of Thrones part avec des avantages non négligeables. Un sujet en or, une intrigue aux petits oignons, certains acteurs qui n'ont plus rien à prouver, le soutien d'HBO, la...
8
le 6 juin 2012
HBO a régné sur le petit écran pendant une bonne dizaine d'années avec des séries comme "Oz", "Les Sopranos", "Six Feet Under", "The Wire", "Deadwood" et j'en passe. Avec l'arrêt des "Sopranos" et...
le 27 sept. 2024
Souvenons-nous, il y a une dizaine d'années, on spéculait sur ces films que nous verrons jamais : The Irishman de Scorsese, Napoléon de Kubrick, Dune de Jodorowski ou encore Megalopolis de Coppola...
le 4 sept. 2021
J’ai longtemps éprouvé un vif intérêt pour la personne de Michel Ciment, un homme de grande culture, correspondant privilégié de Stanley Kubrick, ayant écrit sur Angelopoulos, Boorman, Campion...Un...
le 7 août 2025
Après moults essais de passer l'épisode 3 de la saison 1 il y a une dizaine d'années, j'ai essayé tant bien que mal de m'y plonger, je garde notamment le souvenir de la visite de George R.R. Martin,...
NOUVELLE APP MOBILE.
NOUVELLE EXPÉRIENCE.
Téléchargez l’app SensCritique, explorez, vibrez et partagez vos avis sur vos œuvres préférées.

À proposNotre application mobile Notre extensionAideNous contacterEmploiL'éditoCGUAmazonSOTA
© 2025 SensCritique