Gotham
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Gotham

Série FOX (2014)

En 2014, la superhéromania bat son plein. Disney aligne ses marvelleries et doit faire face à la concurrence de la Fox, de Sony et de la Warner. Revenu en grâce via le succès critique et public de la trilogie de Nolan, Batman devient le super-héros préféré de toute une nouvelle génération. DC comics en profite pour rééditer ses classiques et rebooter le Chevalier Noir via le New 52 en 2011, tandis que l’ombre du Batfleck se profile déjà à l’horizon 2016. Sur le petit écran, Batman aura aussi droit à sa série. Enfin, pas tout à fait Batman, mais plutôt un Bruce Wayne encore enfant qui partagera la vedette avec des personnages censés devenir ses futurs alliés et ennemis.


Créée et supervisée par Bruno Heller, le créateur des excellentes séries Rome et The Mentalist, Gotham se présente donc a priori comme une préquelle revenant à l’enfance du Chevalier Noir. Mais si Bruce Wayne y est bien présent et en est un des protagonistes, bien épaulé par son majordome (Sean Pertwee, dont on saluera l’incarnation musclée d’Alfred Pennyworth), il n’en est pas tout à fait le personnage principal. Jeune inspecteur de police intègre et assoiffé de justice, Jim Gordon (Ben McKenzie) lui vole la vedette. Le pilote de la série a d’ailleurs très vite fait de mettre en présence les deux personnages sur Crime Alley, l’endroit où les richissimes parents du petit Bruce (David Mazouz) viennent d’être assassinés. Se jurant d’élucider le meurtre de Thomas et Martha Wayne, Jim Gordon se lance alors dans une enquête qui le confrontera très vite au milieu de la pègre dirigé par Carmine Falcone (John Doman) et sa principale lieutenante Fish Mooney (Jada Pinkett Smith), une sociopathe aussi cruelle qu’ambitieuse qui se rêve à la tête du crime organisé de Gotham. Dans l’ombre de cette dernière, le jeune Oswald Cobblepot (Robin Lord Taylor) nourrit lui aussi des rêves de grandeur. Particulièrement machiavélique, il ne tardera pas à élaborer un plan pour évincer sa patronne qui l’a plusieurs fois humilié. Face à ce joli parterre de gangsters, Jim devra aussi faire face à toute une tripotée de personnages aussi dérangés qu’inquiétants, entre son ex-compagne qui choisira la voie du crime, un psychiatre obsédé par la peur qui se sert de son fils comme cobaye, un autre qui manipule ses patients, une petite "chat"pardeuse qui ne cesse de se dérober, un chapelier hypnotisant ses victimes pour qu’elles se suicident, un scientifique déterminé à braver la loi pour sauver la femme qu’il aime, un légiste amateur de devinettes transi d’amour pour une femme qui le rejettera et un jeune forain qui sous ses airs innocents se révèle être en fait un horrible psychopathe rigolard. Bref, les fans du Batverse les auront rapidement reconnus, l’idée étant ici de réinventer les origines des grands vilains de Gotham via une intrigue s’étalant sur cinq saisons. Cinq saisons durant lesquelles, les auteurs rivaliseront d’ingéniosité pour contourner les attentes des fans, ou parfois simplement y répondre. N’hésitant pas à ajouter de tous nouveaux personnages à l’univers de Gotham (Fish Mooney, Butch Gilzean, Théo et Tabitha Galavan, Jerome Valeska...) tout en s’amusant à y intégrer la mythologie la plus récente des comics (les Batman de Scott Snyder : La Cour des Hiboux et Le Deuil de la famille) et à cligner de l’oeil aux classiques (The Killing Joke, Asile d’Arkham, No man’s land), les scénaristes n’oublieront pas non plus de placer dans leurs intrigues certains personnages méconnus des comics en leur donnant une plus grande importance (Joe Chill, Sofia Falcone, Azrael, le Professeur Pig, le Taxidermiste, les Ergots de la Cour des Hiboux), voire en changeant complètement leur identité et leurs motivations.


Pourtant, si la série a beau mettre en scène toute une tripotée de freaks et d’ordures se bouffant le nez dans une superbe ambiance de déliquescence urbaine, l’intrigue se consacrera surtout au développement de Bruce Wayne, de Jim Gordon et d’Oswald Cobblepot. De façon à nous révéler la lente métamorphose de Bruce en vigilante, la trajectoire semée d’embûches du futur commissaire Gordon, et l’ascension criminelle du futur Pingouin.

Pour ce qui est des deux dernières saisons, elles n’oublieront pas de placer dans l’équation deux méchants de plus grande envergure visant l’un et l’autre la destruction de Gotham : Ra's Al Ghul (Alexander Siddig) et Bane (Shane West). Le problème est qu’à force de redéfinir les origines de ces célèbres adversaires du justicier masqué avant même l’apparition de ce dernier, la série finira par contredire son statut de préquelle pour privilégier un Batverse alternatif dont on appréciera les idées ou non.


Oui mais, vous me direz, il n’en manque pas un dans tout ça ? Un criminel qui aura bien plus d’importance aux yeux du justicier que tous les autres. Où est donc passé le clown ?

C’est là que Bruno Heller s’est longtemps pris la tête. À l’origine, le créateur avait trois idées primordiales : la dernière image de la série devait nous montrer la première apparition de Batman, l’intrigue devait suivre en parallèle les trajectoires de Bruce, Jim et Oswald, quant à l’individu qui deviendrait le Joker, il serait longtemps laissé dans l’ombre, l’idée étant de faire de certains personnages secondaires (un humoriste raté, un jeune forain psychotique dans la première saison) de potentiels futurs Joker, lequel, on le sait, n’a pas d’identité connue dans la plupart des comics. Les scénaristes s’amuseront même au fil des premières intrigues à égrener quelques éléments censés annoncés l’arrivée du personnage (la chef de gang au look d’harlequin jouée par Lori Petty, des tags sur les murs des rues derrière les personnages représentant un visage au sourire aussi rouge que menaçant). Impressionnés par la performance du jeune Cameron Monaghan dans le rôle de l’horrible Jerome Valeska et voyant en lui le parfait Joker, Bruno Heller et ses collaborateurs développeront le personnage dans la seconde saison jusqu’à lui conférer l’attitude parfaitement nihiliste, machiavélique et suicidaire du célèbre clown (notamment dans la fameuse scène de la roulette russe "Who's the boss ?")...

Puis Heller prendra le contrepied de nos attentes en tuant le personnage. Ce dernier mourant avec le sourire bien connu du Joker figé sur son visage, le choix de le tuer semblait tout aussi audacieux que risqué. Et il semble bel et bien que Heller changea son fusil d’épaule dès la mi-saison suivante en ressuscitant le personnage. La série ne s’embarrassant jamais de réalisme, les scénaristes cligneront ouvertement de l’oeil aux comics de Snyder en ôtant le visage de Jerome qui sera obligé de se le réapproprier et de se l’agraffer, le portant comme un masque. Au vu de l’humour singulier de Jerome, des massacres qu’il commet avec son sourire carnassier, et sa façon de rire de tout y compris de la mort, il devenait alors évident pour le spectateur qu’il deviendrait le Joker.


Sauf que... Bruno Heller et ses scénaristes finiront par opposer à Jerome son parfait reflet opposé en la personne de Jeremiah Valeska, son frère jumeau. Ingénieur de génie au tempérament taciturne, paranoïaque et mélancolique puisqu’autrefois malmené par son frère, Jeremiah sera approché par Gordon pour contrer les plans de Jerome. Et c’est là que les choses prendront une tournure réellement originale, la défaite de l’un entrainant la naissance d’un tout nouveau criminel, plus redoutable encore. Il faudra néanmoins deux saisons pour voir ce nouveau génie du crime chuter dans une cuve d’acide. Abandonné durant plusieurs épisodes pour laisser place à un antagoniste final un rien décevant tant le Bane incarné par Shane West fait pâle figure à côté de celui de Tom Hardy, le Joker (dont le nom n’est pas une fois prononcé) refera finalement surface pour une confrontation finale scellant son antagonisme intime avec le Chevalier Noir, dix ans après le départ de Gotham du jeune Bruce Wayne.

Grimé de façon à ressembler au plus près au Joker du comic Asile d’Arkham, Cameron Monaghan n’aura que trois scènes dans le rôle de "J" pour livrer une prestation parfaite et jusqu’ici mésestimée. Son Joker est, parmi toutes les représentations au cinéma et la télévision du personnage, un des quatre (avec Nicholson, Hamill et Ledger) qui se rapproche le mieux du caractère imprévisible et cruellement rigolard du Joker des comics de Moore, Kieth, Morrison et Snyder.

On notera d’ailleurs que son look omet certaines particularités esthétiques de celui de la BD. La réponse est en cela très simple : une question de droits. La série étant produite et diffusée par Fox tv et les droits du personnage appartenant à Warner/DC, le Joker de la série Gotham ne devait pas avoir les cheveux verts et son nom ne devait pas être prononcé. Les auteurs, les maquilleurs, et le comédien Cameron Monaghan contourneront habilement ces contraintes. Idem pour le personnage d’Harley Quinn ayant alors le vent en poupe grâce au succès de Margot Robbie dans les très nazes Suicide Squad et Birds of prey. Là aussi, les auteurs s’amuseront à créer une proto Harley Quinn dénommée Echo et qui servira surtout, dans sa dernière scène, à tordre le coup à l’idée stupide d’un Joker sentimental et romantique (initiée par ce putain de Suicide Squad et poursuivie plus tard dans Joker : Folie à deux) pour lui rendre sa personnalité profondément égoïste, cynique et perverse et qui n’a que mépris pour la vie des autres, y compris celle de ses sbires.

Le vrai Joker quoi. Un monstre narcissique qui ne craint rien et se fiche de tout, de la vie, de l’amour, de la mort. Pas le Roméo à deux balles qui pleure et chante au tribunal ou qui fait le beau en sauvant sa dulcinée de la prison.


Bref, Gotham est une série intéressante à plus d’un titre pour ceux qui sont fans de cet univers. Clairement imparfaite (la première saison peine à imposer une continuité addictive, certaines intrigues manquent d’intérêt), parfois à la limite du navet télévisuel (les zombies de Fish Mooney), le show prend véritablement son envol dès sa seconde saison et aligne alors les figures mortifères et dérangeantes, tout autant que les morceaux de cruauté. En cela la série flirte souvent avec l’horreur et parvient non seulement à rendre hommage à la fantaisie colorée et grandiloquente de la série des sixties (via un très beau travail sur la photographie et les couleurs) mais surtout à rendre justice à la noirceur des comics de l’ère moderne. En cela, Gotham est à ranger plutôt du côté des réussites. Une réussite qui fut largement occultée dans les années 2010 par les succès de séries bien plus sombres et cruelles, Game of Thrones, The Walking Dead et L’Attaque des Titans. Une décennie où les "méchants" et les freaks avaient de toute évidence vraiment la côte.

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le 28 juin 2025

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Buddy_Noone

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