Une bluette anti-blues

Sung Deok-mi mène une double vie : pendant les horaires de bureau, elle est la conservatrice en chef du musée Cheum, impliquée et fiable, mais dès qu’elle en sort, elle est la fondatrice de “La Route de Shi-an”, un site fan du chanteur Cha Shi-an. Visage masqué et appareil photo de pointe en main, elle capture des images de son idole pour les mettre ensuite en ligne, et les partager avec sa communauté.

La jeune femme a trouvé un équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle, équilibre qui vacille sacrément lorsque la directrice du musée, fantasque et extravagante, est obligée de quitter ses fonctions. Elle est remplacée par un nouveau directeur : Ryan Gold. Coréen ayant été adopté enfant par un couple aux États-Unis, il y était un artiste renommé, avant de soudain faire face à une panne créative. Souhaitant renouer avec ses racines, et prenant les opportunités où elles se trouvent, il retourne donc en Corée du Sud pour prendre la direction du musée Cheum (oui, ça veut dire "moche" en verlan, et oui, c'est rigolo).

La collaboration avec Ryan Gold ne commence pas franchement de manière détendue. Froid, caractériel, plutôt antipathique, il n’est pas d’un abord facile. Mais pour Sung Deok-mi, la situation s'éclaire d'un coup lorsque son nouveau directeur décide d'organiser une exposition spéciale pour le musée, basée sur les œuvres d'art possédées par des stars. Et l'une d'entre elles sera... Cha Shi-an. Une rencontre est donc organisée au domicile du chanteur pour discuter des modalités de l'exposition. Sung Deok-mi est aux anges, la voilà en présence de son idole !

Malheureusement, des fans en planque la voient sortir de l'immeuble du chanteur, et un scandale se met en route : Cha Shi-an a une copine !! La rumeur prend de l'ampleur, et Sung Deok-mi se retrouve littéralement la cible d'une bande de fans en fureur. La situation pour elle devient réellement dangereuse, son identité et ses coordonnées sont divulguées sur internet. Pour y mettre un terme, Ryan Gold propose alors à la jeune femme un stratagème : ils simuleront une relation amoureuse, pour prouver qu'elle ne sort pas avec Cha Shi-an. La suite, vous la voyez arriver d'ici.

Alors, me direz-vous, comment une telle histoire, complètement cousue de fil blanc, peut-elle être intéressante ? Effectivement, la romance n’est pas une surprise en tant que telle. Mais j’ai eu beaucoup de plaisir à la suivre. Les deux personnages principaux sont trentenaires, et, chose originale dans un drama, relativement matures. Il en résulte une relation saine, basée sur le dialogue, la compréhension, le soutien et le respect mutuel, très agréable à regarder. Les malentendus ne durent pas des plombes, les triangles amoureux se résolvent sans drames qui traînent en longueur, et nos deux amoureux se témoignent de l’affection, en toute simplicité.

Et vraiment, de mon point de vue, l’alchimie entre les acteurs est le gros point fort de ce drama. Alchimie qui s’étend également aux personnages secondaires, tous bien caractérisés, et qui évoluent de manière positive dans leur compréhension d’eux-mêmes et des autres. C’est vraiment très agréable en fait.

Pourtant, le drama n’échappe pas à certains écueils, comme les traumas d’enfance, ou les flashbacks. Et d’après moi, le “plot B” sur la quête d’identité de Ryan Gold (enfin, pas tant sa quête d’identité en elle-même, parce que le thème est intéressant, mais plutôt le côté “deus ex machina” de ses découvertes) est superflu. Heureusement, c’est un fil secondaire de l’intrigue, qui ne prend pas trop de place.

J’avoue avoir également été déroutée par le comportement de fan - un peu extrême à mon goût - de Sung Deok-mi. Je suis assez mal à l'aise avec les gens qui guettent leurs idoles partout, suivent le moindre de leurs mouvements, les prennent en photo à leur insu, et n'acceptent pas qu'ils ou elles puissent avoir des relations amoureuses. Au départ, je n'étais pas convaincue par la conduite de Sung Deok-mi, qui dégainait sa tenue de fan et son appareil photo dès que Chi Si-an était annoncé à un endroit. Mais son attitude est modérée par le fait qu'elle maintient toujours une barrière entre vie privée et vie de fan. Les deux univers ont clairement des limites, et même si elle est extrêmement impliquée dans son rôle de fan, elle ne dépasse pas les limites de la vie privée de son idole. Lorsqu'elle rencontre Shi-an en personne en tant que conservatrice de musée, elle est correcte et professionnelle. Le fait qu'elle devienne même une victime des fans du chanteur, qui la harcèlent en pensant qu'elle est sa copine, permet de la considérer comme une fan très impliquée (même si c’est un poil trop pour moi), sans être une fan intrusive, une fan "sasaeng".

Et j’ai aimé que le drama aborde, même si c’est léger, ce thème-là, parce que les fans obsessionnels sont un véritable sujet de société. Apparus avec la montée des groupes d'idoles de K-pop dans les années 90, et la constitution de groupes de fans (fandoms), ces fans hardcore, ou sasaeng, sont, d’après la professeur de psychologie à l’Université de Séoul Kwak Keum-joo “[...] le revers de la fièvre hallyu”. Les sasaeng peuvent essayer d'obtenir les adresses ou les numéros de téléphone de leurs idoles dans le but de les approcher, voler leurs vêtements, placer des caméras ou entrer par effraction chez elles, ou enregistrer leurs conversations téléphoniques, entre beaucoup d’autres choses. Récemment, ce sont les membres du groupe BTS qui en ont été les victimes, lorsque des informations sur les vols qu’ils empruntaient ont été revendues. Les fans ayant obtenu ces informations ont essayé de prendre le même vol ou de réserver des sièges à côté des chanteurs, pour les approcher durant le vol. Comme souvent, les dramas nous permettent de saisir des aspects de la société sud-coréenne, et c'est aussi ce qui fait leur intérêt.

Pour en revenir à notre drama, Her Private Life, en alliant comédie, romance, relations amoureuses ou amicales matures et respectueuses, réussit le pari de nous tenir en haleine malgré une histoire principale pourtant prévisible. La connivence entre les comédiens est palpable, et permet d'embarquer avec eux sans réserve. Le duo Park Min-young - Kim Jae-wook fonctionne extrêmement bien, et les acteurs secondaires sont au rendez-vous.

Le drama permet également de jeter un œil aussi bien dans les coulisses d'un musée que dans celles d'un idol de K-pop et de ses fans, coulisses qui sont parfois moins sucrées et acidulées que l’on imagine. Une occasion de réfléchir à un sujet de société bien réel et à l'importance de la vie privée, aussi bien en ligne qu'IRL, comme on dit sur le world wide web.

L'avis complet sur le drama : https://quoicoree.com/2025/10/28/her-private-life-une-bluette-anti-blues/