Voir la série

Tout commence dans un bruissement d’ailes, celles des dragons, ces ombres ailées qui glissent au-dessus de Port-Réal comme un présage de grandeur perdue. House of the Dragon ne cherche pas à faire oublier Game of Thrones, elle ne le peut pas et ne le veut pas. Elle choisit plutôt de plonger dans les fondations incandescentes de cette saga, en explorant les fractures anciennes, les cicatrices familiales et les ruines dorées du pouvoir Targaryen. Le trône est encore debout, mais déjà il brûle. Ce n’est plus l’histoire d’un monde qui s’effondre, mais celle d’un monde qui s’autodévore. Et dans cette tension permanente entre mémoire et malédiction, la série s’inscrit avec une force contenue, un souffle plus grave, plus lent, mais terriblement magnétique.


L’ambition affichée est d’un autre ordre. Ici, nul besoin de se disperser dans mille royaumes et cent intrigues parallèles. House of the Dragon se concentre, resserre, condense. Elle devient presque théâtrale, tragique au sens antique du terme, centrée sur une maison unique et ses déchirements internes. La guerre est encore en suspens, la chute n’est qu’un murmure, mais le poison est déjà dans les veines. C’est toute l’intelligence du récit : déployer une violence en devenir, une fatalité rampante, où chaque sourire dissimule une lame et chaque naissance annonce une déchirure. Cette densité émotionnelle n’a rien de spectaculaire au premier abord, mais elle s’accumule, s’alourdit, se déploie dans un tempo patient et implacable.


L’adaptation s’empare du matériau d’origine avec un sérieux qui tranche avec la désinvolture des ultimes saisons de sa grande sœur. Le monde de Westeros retrouve une consistance, une rugosité, une vérité politique. Les dialogues sont acérés, lourds de sous-entendus, les regards plus bavards que les mots, et chaque scène semble dictée par des décennies d’histoire qu’on ne fait qu’effleurer. La série ne cherche pas à impressionner par l’ampleur, mais par la tension. Elle préfère le poison dans la coupe au sabre levé, le poids du nom à la fulgurance de l’action. C’est une œuvre de chambre, de silence, de décisions funestes prises dans des alcôves tapissées de culpabilité.


Le cœur de cette tragédie repose sur un casting d’une justesse remarquable. Paddy Considine donne au roi Viserys une humanité déchirante, figure rongée par la maladie, la solitude, et l’effondrement intime d’un pouvoir qu’il n’a jamais su incarner pleinement. Il est le roi malgré lui, un monarque tragique, usé par son propre héritage. Emma D’Arcy, dans le rôle de Rhaenyra adulte, incarne avec une intensité rare l’ambiguïté d’une prétendante marquée par le devoir, le désir et l’injustice. Son regard traverse l’écran, oscillant entre résignation et feu intérieur. À ses côtés, Olivia Cooke campe une Alicent Hightower glaçante, d’une dignité inquiétante, où l’ambition se mêle à la foi et au refoulement. Les personnages ne sont jamais réduits à des archétypes. Ils vacillent, doutent, se contredisent. Ils sont humains, profondément.


L’esthétique, elle, renoue avec une grandeur plus austère. La lumière est tamisée, presque funèbre. Les décors, bien que somptueux, sont baignés d’un spleen architectural. Les salles du Donjon Rouge deviennent des tombeaux de marbre, des lieux de parole pétrifiés par l’étiquette. La série installe une atmosphère crépusculaire où la beauté elle-même semble accablée par la promesse du drame. Même les dragons, pourtant toujours aussi fascinants visuellement, ne sont plus les figures de puissance triomphante qu’ils furent. Ils incarnent désormais la menace sourde, la mémoire d’un âge de feu prêt à rejaillir, les ultimes témoins d’une lignée vouée à la guerre civile.


La musique, discrète mais élégamment tissée, accompagne cette atmosphère avec gravité. Les motifs familiers sont revisités avec sobriété, et de nouvelles compositions plus sobres, presque liturgiques, viennent souligner la lente montée en tension. Rien n’est appuyé. Tout est dans la suggestion. Il en résulte une bande sonore plus feutrée, mais qui épouse parfaitement la mélancolie du récit. Le générique, reprenant le thème emblématique de la série-mère, agit ici comme un rappel de l’inévitable. Ce qui a été ne peut être défait. L’histoire se répète. En boucle. Toujours plus cruelle.


Sur le plan de la réalisation, les choix sont plus contemplatifs, plus maîtrisés, moins frénétiques. Chaque scène semble pensée comme un tableau, chaque plan cherche à révéler un non-dit, une tension invisible. La caméra s’attarde sur les visages, sur les silences, sur les détails. L’action, quand elle surgit, n’en est que plus violente, plus brutale, parce qu’elle rompt une attente douloureusement contenue. Le rythme est lent, assumé, presque languissant parfois, mais cette lenteur est une force. Elle permet de creuser, d’installer, de charger chaque moment de tout ce qui précède et de tout ce qui va suivre.


Sur le fond, House of the Dragon est une méditation sur la dégénérescence du pouvoir, sur les dynasties qui se consument de l’intérieur, sur les familles qui deviennent des malédictions vivantes. Le conflit ne vient pas de l’extérieur, mais de l’héritage lui-même. Ce qui détruit les Targaryen, ce ne sont pas leurs ennemis, mais leurs serments, leurs lignées, leurs ambitions contradictoires. L’intime devient politique. Le ventre devient champ de bataille. La question de la succession, simple enjeu administratif en d’autres mains, devient ici une tragédie sanglante. L’enfant désiré, l’enfant rejeté, l’enfant sacrifié : ce sont eux, en filigrane, qui dictent les alliances, les rancunes, les trahisons.


La série ose aussi une réflexion plus sourde sur le féminin et le pouvoir, sur les corps instrumentalisés, sur la maternité contrainte, sur la manière dont l’histoire, toujours écrite par les vainqueurs, efface les reines, les bâtardes, les épouses. House of the Dragon ne crie pas, ne revendique pas, mais regarde longuement. Et c’est dans cette attention douloureuse au corps des femmes, à leur rôle dans la mécanique dynastique, que la série touche à une profondeur inédite.


Mais House of the Dragon n’est pas parfaite. Quelques scènes s’étirent, certaines ellipses troublent la fluidité du récit. Le passage d’une actrice à une autre, entre Rhaenyra adolescente et adulte, malgré le talent respectif des deux interprètes, crée une rupture difficile à apprivoiser. On peut aussi reprocher à la série une certaine froideur, une austérité qui, parfois, empêche l’attachement émotionnel immédiat. Elle fascine, elle intrigue, mais elle émeut moins spontanément. Il faut du temps. Il faut s’abandonner.


Et pourtant, au terme de cette première saison, la promesse est là, intacte, tissée dans le feu et la cendre. House of the Dragon est une œuvre qui prend son temps, qui préfère le murmure à l’explosion, le drame à l’effet. C’est un retour aux origines, mais aussi une relecture plus grave, plus adulte, de ce qu’est le pouvoir lorsqu’il s’hérite et non lorsqu’il se conquiert. C’est un récit sur le pourrissement lent des empires, sur les décisions prises trop tôt, ou trop tard, sur les familles devenues prisons. La guerre n’a pas encore éclaté, mais elle est déjà partout. Dans les regards, dans les berceaux, dans le silence des corridors.


House of the Dragon n’est pas là pour divertir. Elle est là pour rappeler. Pour prévenir. Pour faire entendre, dans un fracas étouffé, que l’histoire n’est qu’un cercle funeste. Et que dans ce cercle, ce ne sont jamais les rois qui tombent les premiers. Ce sont ceux qui les aiment.

Kelemvor

Écrit par

Critique lue 11 fois

2

D'autres avis sur House of the Dragon

House of the Dragon
MatthieuS
10

Fire and blood

Ce n’est un secret pour personne que toutes les plateformes, ou presque, cherchent leur GOT. Netflix a vu sa poule aux œufs d’or en The Witcher, pour finalement massacrer le matériau d’origine,...

le 28 oct. 2022

43 j'aime

3

House of the Dragon
Raphoucinevore
8

Le Trône du Pouvoir

"L'histoire ne se souvient pas du sang, elle se souvient des noms."Série préquelle de «Game of Thrones», se déroulant près de 2 siècles avant celle-ci et nous contant la chute progressive mais...

le 26 oct. 2022

42 j'aime

7

House of the Dragon
Jambon_Beurre
3

Critique de House of the Dragon par Jambon_Beurre

1er épisode d'une platitude totale. Sur la forme comme sur le fond tout est une référence à peine voilée à GOT, sauf qu'ici c'est morne à mourir et franchement humiliant pour les scénaristes à...

le 24 août 2022

34 j'aime

18

Du même critique

Jurassic World
Kelemvor
3

Tequila World : Récit d'une nuit riche en idées

The Rooftop Bar, Downtown LA, 8H23 p.m., 13 mars 2013. Hey, bonsoir monsieur Colin ! Salut Moe. Une Tequila s'il-te-plait. Tequila ? Comme ça, direct ? Vous avez des soucis au boulot ? Y vous font...

le 19 juin 2015

39 j'aime

17

X-Men : Apocalypse
Kelemvor
4

Ou l'art de conseiller un bon opticien

SensCritique, parfois, tu m'étonnes. Tu m'étonnes parce qu'à l'heure où j'écris ces lignes, tu octroies la note de 6,4 à X-Men : Apocalypse. Alors certes, 6,4 sur plus de 2600 notes en l'espace de...

le 24 mai 2016

37 j'aime

29