Killing Eve fait partie de ces séries difficiles à juger, tant il y a de bonnes idées et parfois des moments franchement réussis, mais qui souffre globalement d’un vrai problème d’écriture rendant l’ensemble très inégal. On suit Eve Polastri, agente du MI5 dont la vie tranquille bascule lorsqu’elle croise la route de Villanelle, une tueuse à gages aussi brillante qu’instable. Ce qui va s’enclencher alors, c’est un long jeu du chat et de la souris, étalé sur quatre saisons, impliquant les services secrets britanniques et russes, ainsi qu’une société secrète internationale.
Le vrai point d’accroche au départ, c’est cette fascination quasi immédiate qu’exerce Villanelle sur Eve : une tueuse clairement psychopathe, mais dont la précision et l’élégance font presque de la mort un art. Cette emprise s’installe dans les deux sens : Eve devient une obsession pour Villanelle autant que l’inverse. La série s’empare alors de ce lien trouble, ambigu, pour explorer la frontière entre traque, séduction et fascination. La première saison repose assez clairement sur cette dynamique. La deuxième tente de l’élargir en introduisant la société secrète des Douze, mais très vite, tout commence à partir dans tous les sens. Il y a un vrai problème de crédibilité dans la construction du monde de l’espionnage comme dans les arcs narratifs. Des personnages qui meurent mais reviennent, des rebondissements trop gros, des intrigues secondaires à peine tenues… Le résultat donne une impression bancale, avec une sensation de piétinement.
Malgré ces défauts, il y a des moments de grâce. Jodie Comer est incroyable, Fiona Shaw également. La série reste agréable à suivre. Il y a de vraies trouvailles, la musique est très bien utilisée. Le début est captivant, avec un humour noir très réussi, notamment dans la manière dont Villanelle traite le monde qui l’entoure. Mais plus la série avance, plus elle perd pied. Elle tente des choses, mais n’arrive plus à retrouver son équilibre. L’introduction de Camille Cottin en nouvel antagoniste fonctionne…jusqu’à ce que le série ne sache plus qu’en faire. Sans devenir ennuyeuse, la série finit par tourner en rond. Trois pas en avant, deux pas en arrière.
Elle souffre de ses hésitations, et surtout d’une écriture très inconstante pour Eve. Son évolution manque de lisibilité, de cohérence, alors même que certains de ses instants de vulnérabilité sont très touchants. La série n’arrive pas à approfondir son parcours comme elle l’a fait pour Carolyn, par exemple, dont le personnage reste beaucoup plus consistant. Ce que la série réussit vraiment, c’est le traitement de Villanelle. Là où beaucoup de thrillers auraient laissé ce type de personnage à l’arrière-plan, comme une figure menaçante ou un simple ressort dramatique, Killing Eve lui donne de l’espace, de la complexité, de la profondeur. On suit son évolution sur la durée : ses désirs, ses tentatives de contrôle, sa chute, sa recherche d’identité. Elle essaie de se racheter, de se réinsérer, de retrouver une famille, une place. On voit très clairement un personnage qui cherche un rôle dans un monde qui ne lui en laisse aucun.
C’est sans doute ce traitement-là qui tient la série jusqu’au bout. Dans ses meilleurs moments, elle parvient à rendre palpable cette fascination, cette pulsion d’attirance et de rejet entre Eve et Villanelle. Cela m’a d’ailleurs parfois fait penser à Don Draper dans Mad Men : cette idée d’un personnage moralement instable, contradictoire, qu’on ne peut ni aimer ni haïr complètement. Villanelle est, de loin, celle à qui il arrive les choses les plus intéressantes. Même si son dernier épisode peut sembler abrupt, il lui donne une belle conclusion.
Peut-être que le fait de l’avoir binge-watchée a accentué ses failles : les incohérences et répétitions deviennent plus évidentes. Killing Eve est une série inégale, mais avec suffisamment de bons moments pour aller jusqu’au bout.