Sauver le monde, se perdre soi-même

Les séries espagnoles qui font la une sont rarement très subtiles, mais "La Mesias" vient battre en brèche cette réputation. On peut parler d'OVNI audiovisuel, tant sur les thématiques abordées que sur la forme adoptée. Ces six épisodes sont riches, denses et fourmillent de réussites qui élèvent cette production bien au-dessus des standards habituels.

Le scénario est habilement construit, ménageant avec finesse le suspense, les moments de stupéfaction et une évolution intelligente des personnages. La narration non-linéaire, alternant entre différentes temporalités, permet de dévoiler progressivement les traumatismes et les secrets familiaux sans jamais tomber dans la facilité ou la complaisance.

La mise en scène est à la fois sobre et créative, parsemée de séquences visuellement saisissantes et richement symboliques. La caméra sait se faire discrète pour capter l'intimité des personnages, puis audacieuse lorsqu'il s'agit d'illustrer leur descente dans les abîmes de la folie ou leurs tentatives d'élévation spirituelle. Les jeux de lumière, les compositions soignées et l'utilisation judicieuse des espaces confinés créent une atmosphère oppressante qui reflète parfaitement l'emprise psychologique exercée sur les protagonistes.

Les acteurs sont globalement très bons, le ton est juste et certaines scènes dévorent littéralement le spectateur. L'interprétation nuancée des personnages principaux, notamment celle de la mère, oscille constamment entre fragilité et monstruosité, rendant impossible tout jugement définitif.

Cette mise en scène d'une maternité destructrice et perverse est tout sauf manichéenne, la série jouant en permanence sur l'ambivalence des intentions maternelles. Cette femme fragile et inadaptée finira par acheter son propre salut en exploitant et dévorant ses propres enfants, les transformant en instruments de sa quête délirante de rédemption. Les séquences musicales, loin d'être de simples intermèdes, deviennent les manifestations troublantes de cette emprise psychologique et de cette spiritualité délirante et psychédélique.

Les survivants de cette hécatombe familiale tenteront de s'adapter au monde réel tant bien que mal, et de sauver leurs plus jeunes sœurs n'ayant rien connu en dehors de l'univers clos et déformé créé par leur mère. Mais pour sauver les autres, encore faut-il s'être sauvé soi-même - dilemme central qui hante les personnages jusqu'au dénouement. La mère ne cessant d'ailleurs ironiquement de répéter à ses enfants que leur mission est de "sauver le monde".

En six épisodes seulement, "La Mesias" parvient à traiter avec profondeur de thématiques aussi diverses que la religion, la foi, les violences intrafamiliales, la maternité, l'emprise, la folie, la liberté et ses corolaires la servitude et l'emprisonnement. La série interroge également notre rapport aux médias, à la célébrité et à l'exhibition de l'intime, offrant une réflexion pertinente sur notre époque où les frontières de l'intime et du public se brouillent toujours plus.

Des premières aux dernières minutes de "La Mesias" tout est tragique, sombre et englué, mais représenté de façon terriblement juste. Chaque élément narratif trouve sa place, chaque symbole sa résolution. Quant à la fin, espoir ou désespoir, chacun est libre de son analyse - cette ambiguïté constitutive faisant partie des nombreuses qualités de cette œuvre remarquable, singulière et puissante, qui restera sans doute dans les mémoires bien après que des productions plus conventionnelles auront été oubliées.