Un simple condensé métaphysique

En ces temps chaotiques où prédomine le matérialisme le plus aberrant, je perçois la tendance de tout un chacun à chercher des repères existentiels afin d’échapper au désespoir. Notre manque de religiosité peut aussi expliquer ce désir justifié d’un « retour aux sources ». 

À cet égard, la philosophie est un précieux recours. Et quoi de mieux qu’une chaîne YouTube pour mettre à portée de tous un savoir aussi encyclopédique. Charles Robin, sous le pseudonyme du Précepteur, a su mieux que quiconque mettre en pratique cette idée : dispenser à un grand nombre d’auditeurs les secrets d’une science parfois difficile d’accès. J’ai commencé à regarder quelques séminaires pour satisfaire ma curiosité, puis je m’en suis éloigné pour plusieurs raisons.

Je me méfie d’abord de cette tendance à la vulgarisation à tout-va. Pour ma part, je préfère me référer aux livres : ils sont d’assimilation plus lente, mais ils restent au final plus faciles à «digérer»; les vidéos, ce raccourci audio-visuel, répandent dans le langage courant des concepts qui gagneraient à être étudiés dans la longueur et la réflexion (Patrick Poivre d’Arvor, durant la Guerre du Golfe, disait déjà que l’information allait trop vite). Il y a des connaissances qui se gagnent au mérite, et qui ne doivent pas devenir comme tout le reste un simple produit de consommation.

D’autre part, derrière tout enseignement, il reste toujours un risque plus ou moins grand de formatage des esprits, surtout auprès des natures les plus frustes.

En disant cela, je pense surtout à un des cours de Charles Robin portant sur le stoïcisme. Je ne sais pas ce qui m’a le plus interpellé dans cette vidéo : ce côté directif qui sous-tend le discours, lequel semble poser cette doctrine comme une obligation qui va de soi (« si vous raisonnez de telle façon, alors vous n’avez pas compris les stoïciens »); des formules lapidaires qui laissent transparaître un dogmatisme tranchant (« pour les stoïciens, c’est de la foutaise »); ou bien l’adhésion quasi-unanime d’un public docile et malléable, prompt à acquiescer à tout ce qu’on lui dit… une approbation matérialisée par une impressionnante majorité d’éloges et de dithyrambes.

Aux antipodes de ce courant d’enthousiasme généralisé, je perçois derrière le « philosophe » aux airs d’impartialité un pédagogue cassant. Un professeur qui peine à dissimuler derrière des dehors débonnaires un naturel brusque. Exemple : sa vidéo consacrée à son expérience du travail, dans laquelle il laisse transparaître son irascibilité, et n’hésite par à traiter de « petits c* » « avec des mots pleins la g* », méritant « une bonne tarte dans la tronche», les étudiants en désaccord avec lui.

Outre cette agressivité parfois mal contenue et ce côté moralisateur, il y a dans l’accroche même des vidéos de Charles Robin, un petit texte servant à résumer le philosophe étudié (« nous sommes tous responsables », « ne te trouve pas d’excuses », etc…). Ne faut-il pas voir derrière ces maximes une sorte de commandement implicite ?… à chacun de se faire son opinion. 

Cela dit, mieux vaut opter pour un savoir, même imparfait, assimilé au gré des vicissitudes du temps, et porteur d’une vraie indépendance de pensée, que pour des formules rapides et simplifiées fabriquées par un intercesseur et propres à nous influencer.

Il y a des raccourcis qu’il faut parfois éviter. 

Le Précepteur est à la philosophie ce que le fast-food est à la restauration, et, en définitive, je préfère me préparer ma propre cuisine, quitte à me passer de certains ingrédients, en suivant l’adage bien entendu: « On n’est jamais mieux servi que par soi-même ».