Mercredi
6.3
Mercredi

Série Netflix (2022)

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Devant l’incroyable succès populaire de la dernière série Netflix pour adolescents, Wednesday, il est tentant d’aller voir si notre réticence face à un pitch à la fois évident et peu enthousiasmant (en gros, revisiter l’univers de la Famille Addams en lui appliquant les codes “timburtoniens” et en en faisant une tambouille à la Harry Potter) était exagérée. Pas de suspense ici : la série est une déception quasi sur toute la ligne.

Le nom de Tim Burton est clairement utilisé par Netflix et Alfred Gough et Miles Millar, ses showrunners, comme un effet de signature, pour capitaliser une fois encore sur des valeurs, des thèmes et une esthétique que l’ex-auteur respecté a développé il y a 30 ans, et sur lesquels il vit tranquillement depuis : réhabilitation des freaks, des exclus, toujours rejetés, craints et haïs par les gens “normaux” ; imaginaire gothique recyclant une cinéphilie classique avec des codes “pop” contemporains et amusants ; vivacité de la narration et de la mise en scène, s’appuyant sur une image excessivement “décorative” (le brave Danny Elfman renforçant tout ça avec ses ritournelles enlevées et ironiques). Wednesday reprend tout ça sans vergogne, mais en oubliant d’y adjoindre ce qui faisait la beauté des grands films “burtoniens”, ce supplément d’âme – et de cruauté – qui donnait la vie à tout ce décorum surchargé. Ici, on n’échappe pas à l’inévitable happy end ni à la réconciliation générale – deux concepts qui n’ont rien de “burtoniens”, pour le coup, la froideur et la méchanceté de Wednesday (très drôles il est vrai), ne l’empêchant pas in fine de tomber dans le piège du sentimentalisme sucré. Quant à la complexité et l’ambiguïté des personnages, elle est tragiquement absente puisqu’il s’agit de répéter sans trop les chambouler les codes du teen movie grand public et consensuel : si certains protagonistes oscillent entre bonté et méchanceté, ce n’est pas par réalisme psychologique, mais bien pour servir les rebondissements d’un scénario qui abuse d’effets “mécaniques”.

Car le plus gros souci de Wednesday, c’est la piètre qualité de son écriture : à partir d’un sujet directement recopié sur les fictions de JK Rowling (Wednesday, adolescente rebelle, intègre une école pour loups garous, sirènes, gorgones, etc. et tente de résoudre une affaire de meurtres commis par un monstre étrange, enquête qui va la forcer à revenir sur l’histoire de sa propre famille), les scénaristes multiplient les facilités les plus irritantes. Les personnages sont tous de simples stéréotypes de teen movies, servis par des acteurs dans l’ensemble peu convaincants ou au moins mal dirigés : Jenna Ortega a du charme et de la présence mais est confinée dans un rôle monolithique, alors que l’impressionnante Gwendoline Christie, inoubliable dans Game of Thrones, a surtout un rôle décoratif, le scénario ne lui offrant pas grand chose de consistant à dire ou à faire. C’est un bien triste constat que de constater que le seul personnage intéressant de la série est The Thing, soit une simple main dépourvue de corps !

La multiplication de coïncidences, l’abus de “deus ex machina” pour faire avancer l’intrigue – grimoires cachés qui apportent leur lot de réponses sans effort, ou apparition for à propos d’un personnage comme l’oncle Fester, débarquant pour tout expliquer dans l’avant-dernière ligne droite -, les retournements de situation bien improbables, la résurrection de personnages morts ou mourants à l’aide de subterfuges crapoteux, tout concourt à ce que le spectateur un peu exigeant décroche et adopte une position détachée vis à vis d’une série à laquelle il adhèrera de moins en moins au fur et à mesure des épisodes. Le fait que Tim Burton, à la réalisation dans les 4 premiers épisodes et faisant encore illusion avec ses habituels effets de manche, cède la place dans les 4 suivants à deux anonymes que l’on ne peut que qualifier de tâcherons, n’aide évidemment en rien.

Il faut revenir sur la “fameuse” scène de danse sur Goo Goo Muck, un (très beau) morceau des Cramps, dont le titre pourrait être traduit par “substance collante d’excrément” – juste avant, d’ailleurs, une resucée absurdement sans âme et surtout sans enjeu ni conséquences du génial Carrie de De Palma : clairement réalisée dans le but de répéter le gros coup de la “scène Metallica” de Stranger Things, cette séquence – mal filmée, mal montée, inutile au récit – échoue en fait aussi bien à réactualiser la musique géniale du groupe psychobilly qu’à ajouter la moindre humanité au personnage de Wednesday. Elle ne fait que prouver que l’enthousiasme et l’inspiration qui transcendaient régulièrement le programme de Stranger Things sont bel et bien absents de Wednesday. Et, en plus, que Tim Burton n’est certainement pas le fan des Cramps que nous pouvions imaginer, pour traiter aussi mal leur musique.

Mais peu importe, puisque le public global a tranché : quelles que soient ses déficiences, Wednesday plaît, et nous n’échapperons pas à une seconde saison, annoncée sans aucune finesse à la fin du 8ème épisode. Tant mieux pour Netflix, tant pis pour nous.

[Critique écrite en 2022]

Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/12/15/netflix-contre-mercredi-wednesday-goo-goo-muck/

EricDebarnot
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le 16 déc. 2022

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Eric BBYoda

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