Napoléon
6.1
Napoléon

Série France 2 (2002)

Pour peu qu'elle sorte des sentiers battus du XXème siècle (Seconde Guerre Mondiale avec Un Village Français, années 50 avec Maigret, 60 avec Les Petits Meurtres d'Agatha Christie), la série télé française en costumes est rarement un franc succès. Que ce soit l'adaptation de la BD L’Épervier par France Télévisions, des Rois Maudits par Josée Dayan ou celles des romans-policiers Nicolas Le Floch de Jean-François Parot, il y a toujours quelque chose qui cloche : production insuffisante, casting foiré, dialogues peu naturels, manque de réalisme, scénario bancal… quand ce n'est pas tout cela à la fois. Mais aucune n'aura eu autant d'ambition que ce Napoléon de TF1, pour un résultat aussi désespérément… plat.


Pourtant, pour qui veut se lancer dans le pari insensé d'adapter à l'écran la vie du personnage le plus controversé de l'Histoire de France (et souvenons-nous que Stanley Kubrick lui-même avait dû y renoncer!), la quadrilogie de "biographies romancées" de Max Gallo était incontestablement le meilleur point de départ imaginable. N'étant moi-même, par une forme de conservatisme académique je suppose, pas particulièrement fan de ce genre d'exercice, je dois reconnaître que le style de Gallo, collant au plus près aux pensées imaginaires ou réelles du personnage historique, se prête extrêmement bien à un format cinématographique.


Surtout, ses livres permettaient un découpage assez pertinent de la vie incroyablement dense du Petit Corse : un premier chapitre consacré à sa jeunesse jusqu’au premier exercice du pouvoir sous la forme du Consulat ; la deuxième à la création de l'Empire, par monts et par vaux ; le troisième à sa consolidation par la force des armes et de l'autoritarisme, pour finir sur ses premières fissures ; et enfin le quatrième à sa déchéance et à sa chute. Cela ressemble à une tragédie grecque, ce que l'Empereur exilé ne fut pas le dernier à remarquer.


À défaut d’adapter les livres à la lettre, la série n'en suit pas moins ce schéma, sacrifiant seulement les vertes années pour en faire des flashbacks. Malheureusement, le format 4x90 minutes ne permet pas, et c'est là le premier souci, de pleinement développer chacun de ces pans de la geste napoléonienne comme il se doit, la faute à une simplification et une accélération outrancières de… d’à peu près tout, en fait. Seules rescapées, les scènes entre Napoléon et Joséphine, qui doivent beaucoup à l'alchimie entre Christian Clavier et Isabelle Rosselini, et quelques autres séquences d'envergure moindre comme le dialogue avec le Pape dans l’épisode 2 ou la nuit de Fontainebleau dans le dernier volet. Mais les batailles et la politique souffrent énormément, ce qui est problématique dans une série qui ne tient à négliger ni la vie privée de Napoléon ni la carrière de Bonaparte.


Résultat : Austerlitz est tellement simplifiée que cela en devient risible ; Waterloo n'est guère mieux servie, tandis que les contraintes budgétaires transforment Arcole, Iéna et Essling en escarmouches. Seule Eylau est réussie, non seulement en raison de la nature frontale et basique (bestiale, même, pourrait-on dire) de la boucherie du 7-8 février 1807, mais parce que l'équipe de tournage a vraiment mis le paquet, à tous les étages, ce qui dans le froid et la neige mérite d'autant plus de louanges. Cela s'est probablement fait aux dépens de la Retraite de Russie, à peine effleurée, mais comme Jean-Paul Kaufman l'a démontré avec son excellent Outreterre – et Balzac en avait jeté les germes longtemps avant lui avec Le Colonel Chabert – Eylau fut décisive dans l’évolution de la nature de la guerre, donc je suis content que son importance soit reconnue.


Ce qui me reste tout particulièrement en travers de la gorge, cependant, c'est comment la série évoque la politique et la diplomatie. Là encore les raccourcis sont légions (la campagne d'Égypte, l'affaire espagnole, les Cent-Jours) mais même quand la mise en scènes prend son temps, c'est tellement mal écrit que l'on y comprend rien : j'appelle à la barre la séquence de l'entrevue d'Erfurt dans le troisième épisode. Longue, élégamment assemblée, avec du Paganini en bande-son et des acteurs qui peuvent se faire plaisir, c'est néanmoins un échec sur toute la ligne. Qui ne connaît pas déjà la période et peut m'expliquer pourquoi, au juste, le tsar Alexandre refuse d'aider son allié français face aux Autrichiens ?


Les acteurs sont d'ailleurs un autre problème majeur. Disons-le sans ambages : presque tout le monde est une erreur de casting. Les seules exceptions sont Rosselini, complexe et envoûtante Joséphine, et John Malkovitch, délicieusement sournois et visqueux en Talleyrand, ainsi que quelques rôles secondaires (Toby Stephens en Alexandre, Sebastian Koch en Lannes, Heino Ferch en Caulaincourt). Mais à tout seigneur tout honneur, parlons à présent de Christian Clavier dans le rôle-titre. Clavier, comme chacun le sait, est un acteur comique extrêmement talentueux, et je ne doute pas un instant qu'il soit capable de performances plus sérieuses. Mais Napoléon Bonaparte est un personnage qui déplaça d'innombrables montagnes grâce notamment à un charisme hors du commun, un véritable magnétisme dont ont témoigné tous ceux qui l'ont rencontré ou vu de loin. Hélas, et ce n'est pas faute de se démener, cette personnalité Clavier en est désespérément, irrémédiablement, implacablement dénué. Dès lors, il est impossible de croire que ce petit homme nerveux peut se faire obéir de rudes soldats, respecter par des politiciens aguerris et craindre par des princes plein de morgue.


Je ne peux épargner non plus Gérard Depardieu, bien trop brut et balourd pour Fouché, dont la finesse et l'aura sinistre vous sont connus si vous avez lu Stefan Zweig. Inversement, Anouk Aimée, actrice d'une beauté et d'une classe rares, est bien trop en retenue pour le rôle de "Mama Laetizia", matrone qui savait mettre son empereur de fils au pas. C'est vraiment dommage, car sur le papier c'est une distribution de luxe, dont le caractère européen est particulièrement louable à une époque où les productions hexagonales ne prenaient guère ce genre de risques.


Enfin, il y a un autre souci qui n'a cessé de me tarauder durant mon visionnage de la série : son aspect idéologique, ou du moins ses bribes. Il n'est pas facile de les déceler tant, comme je l'ai dit, tout n'est qu'effleuré ou taillé à la hache. Néanmoins, à plusieurs reprises ce Napoléon flirte dangereusement avec l'hagiographie. Ce qui n'était malheureusement guère évitable dans les livres de Gallo (d'où mes réserves sur le format) aurait cependant pu, et dû, être corrigé à l'écran par la multiplication des points de vue. Mais à la possible exception de l'exécution du duc d'Enghien dans l'épisode 2, aucune décision du Petit Caporal ne semble bénéficier du moindre recul et ses adversaires sont dépeints de manière si caricaturale que l'objection ou l'opposition à Napoléon perd toute crédibilité. Je suis bien conscient que cette période est un champ de mines, mais TF1 aurait gagné à consulter des historiens plus neutres et modernes tels que Thierry Lentz, Marie-Pierre Rey ou Adam Zamoyski, plutôt que de s'en tenir aux livres très romancés de Gallo et encore bien trop imprégnés du Mémorial de Sainte-Hélène et d'une vision traditionnelle de l'aventure napoléonienne.


Alors bon, je ne fais peut-être pas partie du public visé (c'est TF1, après tout, une chaîne qui, en ce qui me concerne, pourrait tout aussi bien s'adresser aux extra-terrestres), donc pour qui ne connaît rien à la période, ce n'est probablement pas une si mauvaise introduction que cela. Après tout, un gros effort a été fait sur les costumes, les décors et l'action, même si les uniformes sont eux aussi fort simplifiés. Le casting n'est pas très inspiré mais, à part Depardieu, tout le monde a le mérite de se donner à 100%. Ce genre d'entreprise intereuropéenne fort ambitieuse – trop? – se doit d'être encouragée, surtout à l'heure où les productions se replient sur elles-mêmes et tendent à délaisser notre Histoire. Simplement, dans le cas de ce Napoléon, il convient de souligner qu'il n'agit que de cela, une introduction, que cette série doit donc être prise comme telle et qu'elle ne constitue en rien un témoignage définitif sur la vie et la carrière d'un personnage au sujet duquel, dit-on, plus de publications ont été sortis que de jours se sont écoulés depuis sa mort. Si des millions de livres, articles, films et autres ne sont pas parvenus à épuiser le sujet, ce ne sont pas quatre épisodes de 90 minutes qui y parviendraient… l'effort en valait-il cependant la chandelle ? À vous de voir !

Szalinowski
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le 11 juin 2019

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