Parmi les artistes dont le génie est unanimement reconnu, il y en a toujours quelques-uns auxquels on demeure plus ou moins hermétique. Pour ma part, Satoshi Kon est de ceux-là. Je lui reconnais bien volontiers sa singularité dans le paysage de l’animation japonaise, mais j’ai du mal. Du mal avec ce côté glauque qui déforme le trait et la réalité ; du mal avec son goût pour l’allégorie hallucinée qui soustrait son œuvre à une analyse attentive des faits.
Satoshi Kon demande à son spectateur de lâcher prise. Et autant cela m’est possible dans le flot poétique d’un Millenium Actress où l’on se laisse porter par les souvenirs du personnage, autant dans un thriller mêlé d’enquête comme Paranoia Agent, j’ai besoin que mes pieds touchent le sol. Et là, je me suis senti comme ces deux inspecteurs perdus dans une affaire insensée.
Paranoia Agent partait pourtant bien, et j’étais assez emballé par ses premiers épisodes. Des agressions se multiplient dans les rues tokyoïtes et le mystère entourant leur auteur et son mobile s’épaissit. La série installe un cadre dans lequel le suspense parvient à nous happer. Puis Satoshi Kon nous rappelle bien vite à ses obsessions : la folie, la distorsion du réel et sa frontière évanescente avec l’imaginaire ; et il faut reconnaitre que le réalisateur avait un certain don pour mettre en scène ces épisodes de rêverie. Mais Paranoia Agent a lentement commencé à me perdre à mesure que son intrigue s’efface derrière des scènes de plus en plus délirantes, auxquelles le temps alloué est souvent au-dessus du nécessaire (cf. l’épisode du gamin qui se prend pour un héros de fantasy).
Le temps s’est alors fait plus long. Qu’on adhère ou non à l’identité de Paranoia Agent, il souffre d’un problème de rythme dans sa seconde moitié, car sitôt qu’on a perdu le fil conducteur, l’intrigue laisse place à des épisodes de remplissage qui n’ont d’autre intérêt que d’explorer tous les thèmes chers à l’auteur. Et il y en a beaucoup. Trop pour que l’œuvre ne nous apparaisse pas comme un millefeuille de thématiques insuffisamment développées — même si la critique de la société japonaise dépeinte par Satoshi Kon vaut toujours le coup d’œil. Finalement, on n’est pas mécontent lorsque la série raccroche enfin à son histoire de départ. Mais à ce moment, elle a suffisamment glissé vers le surnaturel pour que la résolution ne trouve une logique satisfaisante à mes yeux.
Le constat s’impose : Paranoia Agent porte indéniablement la marque de son auteur. Dans ses dessins mélangeant les genres, dans son style dérangé contaminant jusqu’à cet opening entêtant, dans ses thèmes récurrents auxquels le public est habitué et dans sa puissance allégorique privilégiant l’interprétation à l’examen minutieux. L’imagerie et l’univers de Satoshi Kon sont uniques, mais ils tendent à me laisser sur le carreau. Paranoia Agent n’échappe pas à ce sentiment. Une expérience dont je ressors partagé.