Sense8
7.3
Sense8

Série Netflix (2015)

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Ceux qui ont remarqué le nom de Straczynski au générique sont soit des fans de Babylon 5 et autres, soit des amateurs de comics éclairés. Et ceux qui en font abstraction ont bien tort, crédité au rang de créateur à même titre que les Wachowskis, qui avaient déjà pratiqué la création tricéphale pour le massif et lancinant Cloud Atlas, que j'avais plutôt apprécié et qui m'avait ému malgré ses défauts.
Donc oui, ils auraient tort, ceux qui voudraient Wachowskiser plus qu'à raison Sense8, car Straczynski, le thème de la série, il maîtrise. En 2005, il scénarise Rising Stars, l'histoire de 113 individus aux pouvoirs naissants, traqués à la fois par le gouvernement et par un ennemi mystérieux qui assimile leurs pouvoirs (qui a dit "Heroes" ?!!). Thème récurrent dans les comics, l'auteur a une approche particulièrement critique de celui-ci, plutôt fine, et que l'on retrouve de façon récurrente dans ses comics, dont l'excellente série Supreme Powers, relecture contemporaine de l'Esquadron Supreme.
Tout ça pour dire que Straczynski n'est probablement pas là pour apporter le café aux Wachovskis.


Mais Sense8 est aussi, forcément, une série des deux cinéastes liés par le sang et par les obsessions communes, et parfaitement intégrée à leur oeuvre.
Car oui, aue l'on adhère ou pas, difficile de nier le statut d'oeuvre du travail des Wachowskis, ne serait-ce que de par sa cohérence, la récurrence des thèmes abordés. C'est une oeuvre habitée, travaillée, souvent inspirée, flirtant avec un formalisme qui a tendance à s'avérer cruel au fil des ans, comme on a pu le voir avec Matrix qui, s'il a pu être considéré comme visionnaire à une époque, s'avère extrêmement daté, de la musique aux effets scéniques. Mais je vais esquiver le sujet Matrix et ses suites moisies potentiellement porteuses d'un message, mais ô combien laides périmées en terme de cinéma.


On note, parmi leurs thèmes messianiques et critiques biblico économico mystico sociales, une obsession thématique particulièrement récurrente : l'acceptation de la différence, la quête d'identité, probablement le reflet de la lutte de Lana Wachowski pour réussir à accepter, puis à assumer son identité sexuelle transversale. Cette phase importante et on ne peut plus intime, elle a décidé de l'afficher, la revendiquer, à la fois sur un mode cathartique, mais aussi par empathie, pour que d'autres puissent éviter la traversée du désert qu'elle a connu. Bref, une sorte de volonté quasi christique, une acceptation de sa propre "iconisation", avec un humour désinvolte et une maladresse touchante, comme on peut le voir dans un interview particulièrement parlant et direct, trouvable sur Youtube.


Si je parle autant de cet aspect finalement personnel de la frangine Wachowski, c'est parce qu'il est pertinent en tant que grille de lecture de leur oeuvre, qu'il est même déterminant dans celle-ci.
Et dans Sense8, c'est d'autant plus flagrant.
Huit personnes persécutées à cause de leur différence, huit personnes inadaptées dans leurs milieux respectifs mais reliées entre elles par une forme de télépathie, ou plutôt de télé-empathie, déclenchée par un sacrifice, et supervisée par un chaperon, deux facettes d'une figure christique.


Déjà là, on sent le Wachowskisme poindre par tous les pores.


Mais dès le générique, on retrouve plusieurs choses. Le formalisme déjà, des images léchées évoquant une version digitale de Quaatsi, des décors magnifiques et des images fortes, qui font le tour du monde, représentent nombre d'aspects du quotidien, intègrent un baiser d'amour entre gays cuir moustache par dessus une glace, à la fois beau dans sa sincérité crue, et un peu image-choc pour bobos coincés du cul.


Et c'est le premier reproche que j'aurais à faire à la série : j'ai l'impression, dès le générique d'être devant une pub Bénéthon, vous savez, ces pubs qui jonglaient entre choc cru et bienpensance indigeste.
(EDIT : et la série me donnera raison de façon extrêmement explicite et frontale, vu le nombre de scènes qui évoquent un croisement entre Quaatsi et les pubs United of Colors Benethon)
Et cet aspect habitera la série tout du long, l'équipe des 8 semblant être une caricature de la loi des quotas version minorité sociosexuelle.


Loin d'être un mal en soi, le problème vient plutôt de l'absence drastique de subtilité dans le traitement et dans les intentions. Car non, la finesse ne sera pas au rendez-vous!


Exemple mini SPOILER : la première apparition du couple lesbien - dont l'un des parti, Nomie, est un homme ayant changé de sexe.... tiens, ça me rappelle quelque chose... - est crue, une bonne baise avec un gode strap, filmé sans fard, et se terminant après un orgasme intense de Nomie, par le jet nonchalant du gode dégoulinant de fluides corporels à même le sol. A la fois informative - Nomie est bien une femme à part entière -, belle - la relation entre les deux femmes est touchante au possible, un amour qui fout la larme à l'oeil à plusieurs reprise -, et en même temps épate bourgeois - " tiens, je te fous un gode bien juteux en gros plan à l'écran! Ca te choque, hein, dis, ça te choque, hein, dis oui dis oui dis oui dis oui" -, cette scène illustre très bien le manque de subtilité digne d'un Besson en mal d'inspiration que la série se trainera tout du long. Et en même temps, elle illustre aussi sa force formelle, la capacité des Wacho à iconiser un plan, leur sens de la forme.


(PS : et niveau manque de finesse, je ne parle même pas de l'insultante façon d'aborder le cycle menstruel féminin à travers les yeux et les sens d'un des 8, homme au sexuel qui n'a pas fait son coming out et qui a des réactions qui semblent écrites par le pire des beaufs, tellement ridicule et caricaturale qu'on croirait du Besson, flirtant avec une vision machiste de la femme qui a ses règles, tu sais, la chiante, à fleur de peau, qui va chialer, puis faire une crise de colère, j'veux dire, qu'est-ce qu'elle a celle là, elle a ses règles ou quoi ?!! Et que ceux qui pensent que j'exagère regardent l'épisode 5, tout simplement)


Mais c'est un peu le paradoxe de la série, sa capacité à rendre ses personnages attachants voire carrément émouvants malgré leur coté archétypal proche de la caricature. Et c'est principalement grâce à une tendresse évidente, une empathie très forte de la part des créateurs envers ces personnages que la sauce prend malgré un rythme étrange et des tics formels qui deviennent très vite agaçants, gimmicks au possible lors des connexions entre les personnages.


En terme de série SF, il y a moins à se mettre sous la dent à l'échelle de la saison que dans une demi page du script d'un épisode de Fringe, les Wachowskis laissant justement libre court à leurs obsessions protobiographiques.


Néanmoins, il se passe quelque chose, et il devient vite évident que la série non seulement fonctionne comme un - très - long métrage, et que son but n'est pas de faire un Lost ou un Heroes en plus beau et moins dynamique, mais qu'elle parle de relation à l'autre.
Naive, parfois niaise, elle n'en propose pas moins des relations d'une pureté touchante, et force est de constater que tant en terme d'imagerie que d'images, la série dénote, intrigue, et ose.


C'est donc une sorte d'ovni dans le paysage télévisuel, qui loupe partiellement le coche tout en restant sincère.
Je serais bien en peine de défendre cette série face à un détracteur, et pourtant, malgré tous ses défauts, la série a su me toucher.


Et bon, il faut aussi mentionner les moment de fulgurance formelle, d'autant plus difficile à atteindre à cause des contraintes de tournage à plusieurs équipes, ou encore ces jeux de miroirs - littéraux et imagés -, les danses entre connectés - bon ok, ils s'appellent les sensiates en fait, comme dans le titre - qui, une fois échappé des gimmicks grossier jouant du hors champs, réussissent souvent à faire mouche, et une certaine intelligence dans le traitement de la relation entre réalité et fiction, identité et image de soi, âme et apparence, proximité feinte et connexion réelle, tous éléments qui nous rappellent régulièrement que cette série a des choses à dire, qu'elle n'avance pas au hasard, comme elle semble souvent le faire.


Le trio de têtes pensantes a un plan, du savoir-faire, et compense le manque de finesse et de distance par un coeur gros comme ça et une vraie vision.


(Purée, j'arrive pas à savoir si je dois chier dessus où lui ériger un autel, à c'te série! Au moins, avec Matrix 2 et 3, le choix était clair, les défauts étaient assez gerbants pour occulter toute propension à l'indulgence et toute envie d'accorder le bénéfice du doute au bouzin, malgré une vraie cohérence en tant que trilogie, mais là, dans ce Cloud Atlas à rallonge, je ne sais pas me positionner! Etrange... et pas désagréable, en fait, l'air de rien!)

toma_uberwenig
7
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le 21 juin 2015

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toma Uberwenig

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