Les employés d'un grand groupe choisissent de dissocier leur conscience, et de laisser une autre personne aux commandes de leur corps en arrivant au bureau. Elles ne se souviennent pas de leur journée, ne savent pas ce qu'elles y font et se réveillent simplement à la fin de la journée, reprenant leur chemin en sens inverse.
Si vous n'avez pas vu Severance, ne lisez pas, allez la regarder.
Il y a tellement de choses à dire sur Severance. La séparation entre vie privée et vie professionnelle est un sujet majeur pour la société moderne et connectée, et celle-ci est poussée ici à son paroxysme. Les individus ont beau se réveiller, comme si de rien n'était, il n'en reste pas moins qu'il se passe des choses durant cette anesthésie.
De leur côté, les "inter", par oppoosition aux "exter" sont des pages blanches. Il y a donc bien sûr du harcèlement et un management nauséabond qui profite de la vulnérabilité de ces "nouveaux-nés", mais tout cela va bien évidemment beaucoup plus loin. Derrière un langage volontairement simple et basique, aseptisé et servi avec autant de miel que d'hypocrisie se cachent séquestration et manipulation générale des employés. Ils vivent au sous-sol, sans contact avec le monde extérieur. Leur boulot est totalement abstrait. Le directeur, déifié, est l'objet de dessins animés de propagande grotesques qui servent de doctrines aux employés, qui se battent pour des récompenses aussi pertinentes que ridicules. Ce sont des enfants, qu'on contrôle avec la carotte et le bâton. Chaque service a peur des autres, pendant que ceux-ci ne cherchent qu'à les massacrer, et ces craintes sont nourries par des tableaux et de fausses histoires de conflits violents. La compétition est rude, même au sein d'un service, et bienheureux sera celui qui aura droit à sa soirée privée trimestrielle, une sorte de nocturne avec beaucoup de bouffe suivie d'un spectacle érotique.
Mais que se passe-t-il lorsqu'un employé dissocié désobéit ? Lorsqu'un inter entre en contact avec un exter ? Lorsqu'il y a un "bug" dans la puce implantée dans leur cerveau ? Lorsqu'une mutinerie commence à se former ?
La série regorge de passages fascinants, et aborde certains sujets sensibles avec beaucoup d'adresse. Mention spéciale au passage où Milchick reçoit un cadeau, son portrait stylisé, offert par son supérieur hiérarchique, dans un soucis, dit-il, de "diversité". Là, on peut apercevoir le personnage pousser un soupir, probablement plus soucieux qu'on remarque ses performances plutôt qu'on ne le mette sur un piédestal à cause de sa couleur de peau. Le même supérieur lui reprochera plus tard d'employer des mots "trop compliqués" pour son grade et tentera de l'humilier maladroitement avant d'être finalement remis à sa place. Beau passage Orwellien.
Le premier épisode est destabilisant, on se demande réellement pourquoi les personnages sont tels qu'ils sont, pourquoi ils ont l'air un peu idiots, et puis on finit par comprendre. La hiérarchie tord constamment la réalité. Lorsqu'une exter finit par entendre un morceau de la mythologie servie aux inter, elle ne peut pas s'empêcher d'éclater de rire devant le ridicule du récit, emmenant les inter et le spectateur un peu crédule avec elle.
Chaque épisode apporte un rebondissement ou une nouvelle intrigue, jusqu'à un épisode pivot qui remet beaucoup de choses en question, et pour le moment, c'est passionant. Excepté l'épisode sur l'enfance de la cinglée, qui méritait dix minutes de traitement maximum. En dehors de ça, c'est très bien joué, bien rythmé, très bien mis en scène, et très pertinent.
Les dilemnes présentés sont toujours intéressants. Les inter sont-ils des personnes à part entière, ou un fragment sans importance et sans droit ? Dans un endroit où une rupture de contrat équivaut à la fin d'une conscience, et donc à une forme de mort, vaut-il mieux continuer pour fréquenter quelqu'un qu'on aime, ou tout arrêter ?
Bref, à moins d'une énorme surprise, c'est probablement mon coup de coeur de l'année.