Quelqu'un me disait hier qu'il pouvait extrapoler la qualité d'une série à partir du pilot de celle-ci. L'esthétique, la réalisation, l'écriture des personnages, les dialogues... il me disait qu'en 20 ou 50 minutes (suivant le format) il pouvait prendre la décision de continuer ou non, sans hésitation.
J'ai compris ce qu'il voulait dire, mais j'étais tout de même un peu sceptique. La première idée n'est pas toujours la bonne... Silicon Valley propose cela en tout cas.
Détrompez-vous, j'ai kiffé dès l'début. C'est pas d'ça que j'parle. Ce que je veux dire, c'est que Silicon Valley commence sur une idée. Ça commence sur la résolution. Sur la découverte de la pierre philosophale. Nos alchimistes du C++ ont déjà leur trésor en main quand on nous les présente. La question ici, c'est plutôt : que fait-on d'une première idée, aussi belle et intelligente soit-elle ?
Dans cette série, l'idée c'est avant tout des galères. Des confrontations. Des impasses. Des erreurs. Pour se rendre compte, au contact des autres idées, que l'idée doit être travaillée, qu'elle doit se nourrir de ce qu'elle fréquente, que l'idée que l'on crée dans son laboratoire personnel sera potentiellement étonnée dans la mise à l'épreuve.
C'est bien amené dans la série. On commence avec un algorithme présenté immédiatement comme une poule aux oeufs d'or, dans les mains d'un autiste. Doit-on en conclure que les génies sont des autistes, et que c'est pour ça que le monde part en couille ? Parce que les bonnes idées fuient leurs propriétaires attentionnés mais naïfs, pour se réfugier dans les bras de vieux capitalistes plein d'idées cannibales (« pour un monde meilleur ») ? Peut-être, je prends pas parti. La série prend ce parti en tout cas, et on assiste ainsi à l'odyssée de cinq guguss qui cachent leurs œufs d'or sous leurs T-shirts dans une Silicon Valley affamée. Comme un Indiana Jones qui reviendrait aux États-Unis avec le Graal, et qui se rendrait compte que l'aventure ne fait que commencer, et que les plus grands pièges sont dans les buildings.
On assiste alors, entre autres (mais surtout), aux coups de gueule du petit génie ; à des moments où il se prend au sérieux, souvent complètement à côté, mais qui marchent, parfois. Il a des idéaux, lui. Il en est persuadé en tout cas, et c'est de là que sort le décalage avec toutes les entreprises hypocrito-philanthropistes qu'il croise. De là naissent beaucoup de situations comiques. Et l'acteur nous rend ça bon. Très bon.
Parce que oui, bien entendu, le plaisir est dans les pièges déjoués avec humour. Et, surtout, dans une permanente forme d'autodérision plus ou moins consentie. À l'image de ce programme amélioré que notre héros invente au dernier moment, en écoutant ses amis calculer le nombre maximal de pénis qu'ils pourraient «jack-off » en un temps donné. L'autiste il se fait « ah mais oui, bien sûr » et il fonce dans sa chambre nous chier une perle de l'informatique. Problème résolu. Si t'as une idée, oublie pas de te marrer. Au moins un peu, si possible.
C'est un peu hors sujet, mais cette série me ramène en pleine face certains fantasmes secrets. J'ai souvent, intimement, rêvé de suites de films peu pertinentes (impertinentes?). Je me suis souvent imaginé des épisodes 2 fictifs, excroissances impudiques d'épisodes 1 qui se terminent sur une révélation, une transgression, ou une découverte... la suite de Truman Show par exemple : Jim Carrey lâché dans le monde réel après avoir passé 30 ans dans un monde sublimé ; la suite des Goonies : que vont-ils faire de tout ce fric ? ; La suite de Shining : Danny aura-t-il son bac un jour ? (En l'occurrence, Stephen King a écrit une suite... ça s'appelle Doctor Sleep, et c'est plutôt cool)
(Bref ça me donne des envies de liste tout ça)
Finalement, Tolkien, le plus gros des elfes, a un peu penser à moi dans Le Seigneur des Anneaux. Je suis indigne, mais merci quand même. Car le livre ne s'arrête pas sur la destruction du Mordor. On vit la récupération de la Comté, et de Hobbitbourg. On prolonge le livre sur de nouvelles péripéties qui seront fatalement moins épiques que ce qui précède. Moins spectaculaire en tout cas. Mais, personnellement, je trouve ces péripéties extrêmement excitantes. C'est tout ce que contient le «TO BE CONTINUED » racoleur d'un Marvel. La reconstruction d'un monde, après la lutte.