L’intrigue de The Murky Stream se déroule en 1592, dans les dernières années de paix apparente du royaume de Joseon, juste avant l’invasion japonaise (guerre Imjin).
La série ne montre pas la guerre, mais le terreau qui le mène à sa perte : un royaume miné par la corruption, un peuple usé, des luttes de pouvoir… Autrement dit, The Murky Stream décrit la décadence avant la catastrophe, ce moment où tout vacille sans encore s’effondrer. Mais çà ne va pas tarder.
Jang Si-Yul (Rowoon) est un docker du port de Mokpo, un homme du peuple habitué à la vase et à la fatigue. Il ne commerce pas : il survit. Sous ses airs calmes, il porte la lassitude d’un homme qui a trop vu sans pouvoir agir. Ce Si-Yul-là est une âme en exil, en lutte entre honte et rédemption.
Face à lui, Jung Chun (Park Seo-ham) incarne la colère lucide d’un fonctionnaire intègre. Adjoint du Bureau de la Police Gauche, il veut nettoyer le royaume de l’intérieur avec honnêteté (naïveté ?). Là où Si-Yul agit, Jung Chun réfléchit. Leur alliance tacite incarne deux formes de résistance dans un monde pourri jusqu’à la racine. Mais cette relation, prometteuse, reste mal exploitée, leur lien manque de construction, leur complémentarité de densité.
Au cœur de l’intrigue se trouvent les cartes patiemment construites que le prince Dae-ho (Choi Seong Wuk) tente de protéger. Elles ne relèvent pas d’une simple curiosité savante : elles représentent le savoir stratégique du royaume, ports, lignes côtières, zones vulnérables.
Avoir une carte du pays, c’est aussi le maîtriser . Si elles sont vitales pour la défense, elles révèlent aussi le manque de préparation et la négligence de l’administration. Dae-ho, lucide mais impuissant, incarne la conscience d’un royaume aveugle à sa propre chute.
Le Journal d’Inspection, que Jung Chun souhaite consulter, complète cette symbolique. Tenu par les inspecteurs royaux, il consigne les abus et la corruption des fonctionnaires. Si les cartes dévoilent la topographie d’un territoire, le journal expose la topographie morale d’un pouvoir qui s’effondre sous son propre mensonge.
Enfin, la Guilde des marchands représente le troisième pouvoir du royaume : celui de l’argent. Sous Joseon, les marchands formaient une classe méprisée mais influente, contrôlant les échanges et les ports. La série en fait une force économique souterraine, maillon entre les fonctionnaires corrompus et les contrebandiers. Le fleuve devient leur champ d’action, mais l’idée reste sous-exploitée, servant davantage de décor que de moteur narratif.
Tout dans The Murky Stream repose sur une idée forte : la corruption comme cause de la chute. Chaque institution, chaque personnage, chaque symbole, les cartes, le journal, la Guilde, rappelle un pays qui se détruit de l’intérieur avant d’être attaqué de l’extérieur.
Mais l’exécution est comme embourbée. Le récit s’étire, les scènes d’action se répètent, et la lassitude s’installe. L’émotion, elle, ne prend pas malgré la BO agréable et de circonstance. Bref, je m’ennuie ferme.
Par moments pourtant, quelques images sublimes me tirent de ma torpeur : les barreaux de bambous dessinant la lumière derrière Rowoon, Park Seo-ham, martial et lumineux lors de sa première apparition au milieu de l’épisode 2, ou encore ses entraînements nocturnes, pleins d’une rage désespérée. Autant d’instants suspendus dans une série qui ne décolle pas. Enfin… un peu, à partir du quatrième épisode. Sur neuf, c’est tout de même laborieux.
Au départ, j’ai cru retrouver la tension et la ferveur de My Country : The New Age, mais la comparaison s’arrête vite, très vite. The Murky Stream s’enferme dans une lenteur administrative, plus cérébrale que viscérale et ses neuf épisodes n’en tirent pas vraiment parti.
Néanmoins, fait rare pour un sageuk, le roi est absent. On n’en parle presque pas, on ne le voit jamais. L’absence de ce roi laisse déjà présager ce que l’Histoire révélera plus tard. Le pouvoir n’a plus de visage : Joseon fonctionne en pilote automatique, pris dans un enchevêtrement de bureaux. Par ce choix scénaristique, et malgré ses longueurs, The Murky Stream ose un ton plus politique que la moyenne des dramas historiques récents. En se concentrant sur la mécanique administrative et la corruption systémique, la série propose une lecture lucide, presque moderne, du pouvoir. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est cohérent, ambitieux et singulier, une approche rare, qui mérite d’être saluée malgré ses faiblesses.
Le rôle féminin, incarné par Shin Ye-eun, reste marginal. Présente sans peser, son personnage n’apporte que peu au déroulé de l’intrigue : une figure-témoin, plus utilitaire que vivante.
Si Joseon est le fleuve, la corruption en est la turbidité, et l’intrigue tout autant. Ambitieuse, joliment filmée, mais inégalement écrite, The Murky Stream finit par s’enliser dans sa propre lenteur.
Rowoon livre un jeu sobre et solide : épaules alourdies, gestes économes, regard fatigué. Il a pris un peu de masse, troquant la prestance lisse de ses rôles précédents pour la densité d’un homme abîmé, un terrien.
Park Seo-ham, surtout, illumine chaque scène de sa beauté magnétique, d’une intensité retenue, d’une virilité sobre et discrète. Tout passe dans son regard : douleur, loyauté, dignité.
Sa première apparition à cheval, d’une élégance rare, m’a tirée de ma torpeur. J’ai tenu jusqu’au bout pour lui et pour quelques plans magnifiques. Le reste, hélas, n’est qu’un beau naufrage.
La fin annonce l’Histoire qui commence et laisse présager une éventuelle seconde saison.
Mais moi, je descends du bateau.
Un 7 d’estime, pour sa cohérence et pour Park Seo-ham.