True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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"Once there was only dark. If you ask me, the light's winning."

En 2014, dans la longue obscurité de la nuit, naquit True Detective. Anthologie télévisée américaine créée et écrite par le natif de Louisiane Nic Pizzolato et réalisée par Cary Fukunaga, la première saison est comme un miracle télévisuel. D’une incandescence épaisse, cette chronique nous saisit d’emblée par sa lourde atmosphère et sa touffeur morne et tortueuse. La toile de fond présente une Louisiane du Sud magnifiquement reconstituée, terre propice à l’éclosion des Fleurs du mal, ces parcelles de monde incandescentes qui constituent le tissu poisseux dans lequel l’intrigue tarabiscotée imaginée par Pizzolato va se déployer. Ce polar cérémonial, théâtre d’âmes brisées, reprend habilement les codes de la pure fiction américaine. C’est dans cet appareil que deux âmes endommagées vont traquer une vérité nimbée de brouillards. Les personnages de Marty et Rust interprétés par Woody Harrelsone et Matthew McConaughey créent un duo qui, malgré leurs différences, fonctionne en profonde synergie : Rust incarne la cérébralité, caractère cynique et froid quand Marty, massif et impulsif, benêt affable,  tente de se convaincre de son rôle de père de famille modèle. Chaque découverte est lourde de dangers pour les protagonistes : violences commises sont souvent vindicatives, presque fascistes s’inspirant du concept du vigilante. La série s’inscrit dans un régionalisme certain. Les terres marécageuses abordées par les enquêteurs créent une mystique des paysages et de l’espace. Palimpseste de la Louisiane primitive, le film dresse un portrait anthropologique du territoire Louisianais, incarnant  une Amérique appauvrie, reculée et farouchement religieuse. L'environnement est malsain, mettant en action les addictions et les perversions typiques des terres étatsuniennes oubliées. Les longs trajets sur l’autoroute 90, les stations services, les parcs à roulotte, et les églises abandonnées esquissent délicatement ce cadre inédit. L’iconographie de True Detective mêle la culture Louisiane au bayou et à ses légendes locales du bas cours du Mississipi, en s’inscrivant dans une imagerie Southern Gothique. Les terres marécageuses et les rites impies s’incarnant en des babioles mystiques distillées ici et là, rappellent une certaine dimension de la philosophie narrative lovecraftienne. Les hallucinations de Rustine ne sont que prétexte au surgissement du surnaturel dans le réel. Se mettant au service du déploiement de la cartographie mystique du film-monde, l’iconographie visuelle bouscule le tangible, brisant la rigidité des lignes horizontales à l’aide de balais d’oiseaux en spirale, ou bien d’émanations spectrales au cours d’une virée nocturne en voiture. La pâte visuelle oscille entre une nature indomptable, locus horridus, et un écocide toxique, celui de la Cancer Alley. Les villes d’émeraude brisée et les raffineries de pétrole, enveloppées d’une brume toxique, posent le contexte diégétique de la série. Les panoramiques larges nimbés d’un intense zénith se confondent avec la froideur des nuits et des marécages, embrassant les pulsions des personnages. Tout est convoqué ici pour ouvrir un monde humide et poisseux, s’exprimant à travers la photographie moite de David Michod et de ses lumières chromatiques. Les pipelines grignotant le territoire se mêlent aux racines et aux communautés primitives. Ces deux généalogies distinctes se conjuguent pour former une plastique et tisser des faisceaux géographiques homogènes et propices à l'étirement du temps. Au milieu d’un sol fangeux, une église gothique en ruine avec comme nappe de fond, de pernicieuses raffineries bouillonnantes : ce n’est pas la surface du monde qui est filmée ici mais sa matière dans son intimité la plus profonde. C’est sur cette première saison de True Detective que se dévoile Cary Fukanaga en tant que seul décideur de la mise en scène. Rappelant le style des films classiques hollywoodiens, les mouvements de caméra d'une grande fluidité amènent à une économie des moyens au style presque invisible, se concentrant sur l’histoire et ses personnages. Maîtrisée, sans être trop fantaisiste ou étouffante, elle laisse entendre des choses sur chacun des personnages. Dans le théâtre d’un monde rappelant les enfers occidentaux (No country for old men, Blood Meridian), Rust navigue de manière agressive, distante mais toujours enracinée : toujours sur ses appuis, prêt à changer de direction au moindre imprévu, il progresse dans une atmosphère tendue, perdu dans un dédale pavillonnaire. Cette séquence met parfaitement en lumière l’ambivalence du personnage. True Detective dévoile sa vérité cinématographique sensuelle et plastique dans une cohérence et une constance dépassant la maîtrise de l’image. Il ne faut pas s’y méprendre: la grande force de la série ne se trouve pas dans sa philosophie noire, ou dans la rigueur de la trame narrative. Ce vernis permet au dispositif final de s'accomplir dans la totalité des décors, exaltant ainsi le sens et la plénitude de son univers. 

Saicthulhu
9
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le 12 avr. 2023

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3 j'aime

Saicthulhu

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