True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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« Le monde a besoin d’hommes mauvais. Nous tenons les autres hommes mauvais à distance. »

La série qui montre qu'on peut mieux faire à la télé qu'au cinéma. Deux acteurs fanés et usés ( artificiellement cela s'entend bien sûr ) incroyables de naturel et de noirceur nous invitent dans leurs souvenirs et dans les méandres de leur psyché. .. Mc Conaughay , amaigri, sec comme un couteau de combat, le regard volcanique marmonne des leçons de vie provocantes et époustouflantes à base de philosophie de vie souvent nietzschéennes et athées , pendant que le presque vieux Woody Harrelson tue avec régularité sa vie de famille rangée à coups de boissons à haut degré et d'amours cachés oxydants et condamnés ... Les répliques assassines de Rust Cohle ( Mac Conaughay ) ont vite tendance à pénétrer notre cerveau pour y infuser quelques vérités bien senties et bien venues et c'est là déjà une des premières vertus et intérêt de cette série, saison 1. On y réfléchit, on en discute intérieurement ou on soupèse la réalité à accorder à ces pérégrinations verbales entre deux êtres que tout oppose mais qui se retrouvent à travailler ensemble et à partager "presque" tout.


"C'est quoi la moyenne de leurs QI à tout ces gens ? Simple observation et déduction, je vois une tendance à l'obésité et à la pauvreté, un désir de contes de fées, des gens mettant leurs rares dollars dans de petits panier en osier qu'on leur passe. Il est évident que personne ici ne va désintégrer l'atome. Si œuvrer pour le bien commun, ça veut dire faire croire à des contes de fées, c'est bon pour personne. Si il faut leur promettre une récompense divine pour empêcher les gens de tomber dans la débauche, alors c'est que les gens n'ont rien dans le crâne."


La Louisiane et ses bayous absorbants, ce Sud vaguement empreint de France et de noms Français, ce territoire parfois encore primitif, sert d'écrin languissant à cette enquête policière .
Une enquête mortifère et destructrice qui va les emmener plus loin, très loin dans l'obscurité et la compréhension psychologique d'un tueur en série, mais aussi dans leur propre lâcheté, laideur morales. Le monde est vulgaire, les hommes sont des animaux conscients de la mort imminente et l'histoire se construit sans eux. Ils se racontent des histoires, des contes emplis de Dieux jaloux et omnicients pour ne pas devenir fous et s'abriter de leurs désirs terribles.
Pas de pathos.
Pas d'amour qui dure.
Pas d'enfant qui vous aime à vie parce que vous les avez sorti du néant avec votre sperme .
Pas de religion salvatrice , pas d'espoir, pas de salut.
Rust ( McConaughey ) est un homme brûlé de l'intérieur par la mort de sa toute petite fille à 2 ans, une vie chaotique et les drogues qu'il a dû prendre comme " infiltré " durant 4 ans dans des gangs alors qu'il travaillait aux stups. Il y a pris goût et la descente a été rude. Sa morale personnelle est exigeante, dépourvue d'illusions, de foi en quoi que ce soit. La vie n'est qu'un cercle infernal sans cesse renouvelé.


« I think human consciousness, is a tragic misstep in evolution (...) Maybe the honorable thing for our species to do is deny our programming, stop reproducing, walk hand in hand into extinction, one last midnight - brothers and sisters opting out of a raw deal. »
« Je crois que la conscience humaine est un faux pas tragique de l’évolution (...) Peut-être que la seule chose digne à faire, pour notre espèce, c’est de renoncer à notre instinct, arrêter de nous reproduire et nous diriger, comme frères et sœurs, main dans la main, vers notre extinction, la renonciation ultime dans ce jeu de dupes. »


Martin Hart ( Harrelson sobre et poignant ) son binôme de travail fait semblant de croire, de croire en la foi, la famille , l'amour mais sa nature profonde est pire que celle de son collègue, parce qu'il ne veut pas admettre qu'il n'est qu'un salaud qui trompe sa femme avec une copie de celle ci en plus jeune , boit beaucoup, ment constamment sur sa vie, ses actes et se cache sous une défroque d'hypocrite angoissé par la culpabilité pseudo chrétienne qu'il s'inflige sans la comprendre .
Juste deux hommes, deux policiers doués, mais brisés et malades de la vie et qui au hasard d'une interminable enquête sordide , vont avoir à découvrir dans l'obscurité du Bayou et des écoles chrétiennes un serial killer avide, fantomatique, prétexte pour chacun d'entre eux pour s'enfoncer dans les différents cercles de l'enfer ... Les flingues ne servent pas à grand chose dans cette série. C'est le don d'empathie terrifiant d'un flic malade ( Rust ) qui va permettre de retracer l'itinéraire morbide du tueur solitaire et inconnu . Rust, homme tenace et solitaire, comprend les souillures qu'il est amené à côtoyer ou à interroger. Il sait les rêves cassés, les désirs enfouis, la recherche du plaisir pour oublier les abus endurés pendant l'enfance que l'on reproduit et la douce volupté orgasmique du crime qui secoue jusque dans le bas-ventre quand un bras armé s'abat sur la victime expiatoire choisie et ligotée .


" L'enfer est vaste et profond, il enveloppe ses visiteurs de ses bras chauds..."


« Death created time to grow the things that it would kill. »
« La mort a créé le temps pour faire mûrir les choses qu’elle allait tuer. »


Il ne sert à rien de raconter vraiment point par point ce qui se passe dans cette première saison de la série. . Tout y est déroutant, déplacé et inconfortable.
L'enquête se place sur plusieurs temporalités ( 3 époques différentes, 1995/2002/2012 ), des paysages gris et marrons, avec des moments tellement étouffants qu'on a l'impression d'être en apnée et de chercher notre souffle.
La Louisiane reste constamment le théâtre verdâtre et lugubre de cette longue recherche d'un assassin lointain mais dont on sent le souffle chaud à chacun de ses meurtres rituels .Dessins géométriques obscurs ou vaguement vaudous , statuettes de bois et de branches, agonie mise en scène et figée dans un champ sous un arbre gigantesque, corps penché d'une jeune fille pour adorer le " roi jaune " , celui qui regarde ces victimes et ces mises en scènes n'en sort pas indemne .
Morne plaine envahie constamment par l'eau, la mer , les ouragans, cette étendue qui fut une lointaine colonie du royaume de France au 18ème siècle reste désespérément plate et mousseuse. C'est à présent un nid de prédicateurs allumés, de rejetons débiles ou de familles consanguines et dangereuses au nom vaguement familiers aux oreilles de notre vieux pays qui tranchât la tête de son roi.
L'air est empli du goût de l'aluminium des usines, plateformes pétrochimiques des multinationales made in USA qui souillent la vue et le paysage , l'eau s'infiltre partout, le sol est pourrissant, les hommes sont corrodés, contaminés par cette rouille fertile naturelle et rien ni personne ne peut les absoudre. Dieu est dans leurs mains levées vers le ciel pour décharger leurs âmes de leurs fautes , mais le chaos règne dans leurs coeurs et leurs corps. Certains sont dupes et jouent le jeu mais pas Rust, celui qui n'attend plus rien sinon l'oubli dans un sommeil qu'il est obligé d'acheter en cachetons assommants, ou l'alcool le jour anniversaire de la mort de sa fille écrasée devant chez elle , au détour d'un virage sur son tricycle...
Ce monde est violemment humain, cassé, organique et brutal.
Alors prenons en juste de la graine.
Leçon de cinéma pure bien souvent , cette série et surtout cette saison1 est un exemple de réalisation et de virtuosité. Regardons par exemple dans l'épisode 4 , suivons la folle attaque par Rust totalement défoncé avec un groupe de bikers dont il veut regagner la confiance après son départ des stups d'un repaire de gangsters dans un quartier noir. Magnifique plan séquence de 6 minutes , cruel, stressant, haletant et impitoyable et qui nous immerge dans la folie humaine...
Comment est on arrivé à faire mieux que bon nombre de films de longs métrages, la question est posée. La série, les séries bien souvent osent bien plus, poussent le curseur plus loin et surtout prennent le temps d'exposer des psychologies et non des actes de violence ou d'héroïsme. Et " True Detective " est l'emblème royal de cette tendance qui enfin ne prend pas le spectateur pour un imbécile immobile , mais pour un lecteur d'images et de sons réfléchi et réfléchissant par lui même.
Bref. Glissons...
Les deux hommes vont détruire plus ou moins consciemment leur entourage, leur vie , leur carrière de flic, avant d'arriver à une sorte de compréhension du monde en allant jusqu'au bout de leur névrose ; Cette enquête jamais vraiment fermée ou terminée et qui s'étale sur 17 années.
Il faut essayer en tant que spectateur de respirer par paliers, de reprendre ses esprits et apprécier le pessimisme terrifiant de cette histoire sordide ou rien n'est à sauver dans les actes des êtres humains représentés bien souvent . Les hommes sont faibles, les femmes restent et croient jusqu'au moment où la vérité apparaît trop évidente. Les histoires d'amour ne durent pas , la vie se charge de les banaliser, le temps efface l'envie, les enfants cannibalisent le couple qui s'oublie dans cette dévotion / dévoration sociétale. Et la détestation de l'autre est la cathédrale attendue dans laquelle Martin Hart et sa femme vont ensevelir leur amour , comme pour le couple formé par Rust Cohle et sa femme qui ne peuvent supporter d'être en vie ensemble après l'horreur qui leur a enlevé son enfant. Ruptures, désastres conjugaux attendus et glaçants laissent peu à peu les hommes seuls avec leurs habitudes et la vie qui leur tourne lentement le dos.
Les acteurs sont magnifiques d'intensité. On retient sa respiration, apnée toujours présente, on retient ses larmes, son émotion chaque minute tellement on touche à l'intime et au désastre banals. Bref , enfin une série adulte et profondément misanthrope qui change des formatages habituels... Un seuil a été dépassé avec cette série. Difficilement dépassable et je promets bien du plaisir aux suivants qui voudront prendre la relève.


"Je me considère personnellement comme un réaliste.
Mais en terme philosophique je suis ce qu'on considère comme un pessimiste
."


"On est de la viande sensible, malgré nos identités illusoires. On forge ces identités en faisant des jugements moraux. Tout le monde, à chaque instant. Si tu as un problème avec ça, tu vis de travers."


Seule la toute fin laissera un peu sur sa faim parce que pas vraiment à la hauteur des autres épisodes vertigineux et une résolution qui reste un peu trop simpliste. Dommage que l'on ait droit à une sorte de crise mystique un peu trop appuyée de Rust en sus , sans vouloir trop " divulgâcher ". Cela donne un petit côté bisounours amer à un dénouement à la limite du fantastique qui aurait pu rester plus mélancolique et moins " heureux ". J'aurai préféré que le personnage de McConaughey reste un "réaliste " , un pessimiste, celui qui dans la fête ne s'amuse pas parce que la fête n'est qu'un prétexte pour oublier que nous ne sommes que des animaux programmés... Et la crédibilité de la fin en aurait été plus vive et acceptable . On ne part pas quasiment main dans la main après ce genre d'épreuves ou bien alors dans le club Dorothée. Juste donc dommage sur les dernières minutes de vouloir faire croire que l'on peut survivre à des blessures quasi mortelles et qu'en plus l'on peut toucher la lumière dans l'obscurité. Je vous laisse voir la fin ultime et le monologue final pour comprendre mon désappointement. J'imagine que pour un certain public, le " happy end " devait être là pour amortir tout ce qui avait été dit auparavant et que j'ai rarement entendu de façon aussi sèche dans un film ou une série Américaine toujours très soucieuse de leur foi en un monde meilleur et en des dieux gravés sur leur pièces de monnaie .
Passée cette réserve, série TRUE DETECTIVE saison 1 à découvrir absolument. ..

Prosper666
9
Écrit par

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Créée

le 26 déc. 2015

Critique lue 507 fois

2 j'aime

Prosper666

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2

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