La plus grande force de la série réside déjà dans son titre (français comme anglais). Cette nature sauvage, encore peu exploité en tant que personnage à part entière dans la fiction, s’impose ici avec évidence. Le parc du Yosemite, qui s’étend sur plus de 3000 km², est si vaste qu’il ouvre à toutes les possibilités scénaristiques. Ce n’est pas tant l’intrigue policière, qui malgré une très bonne facture reste assez prévisible, que l’écosystème du parc qui captive au fil des six épisodes (décidément devenu le nouveau standard de la mini-série). Touristes familiaux, sportifs, chasseurs, résidents blancs et amérindiens, représentants de l’autorité, politiciens, anarchistes ou personnages en rupture avec la société... L’écriture fait exister ce monde dans toute sa complexité. On suit Kyle Turner dans l’enquête avec sa nouvelle coéquipière citadine, Naya Vasquez. Ce prétexte policier permet de développer les dynamiques sociopolitiques d’un parc bien plus riche qu’il n’y paraît.
Lui-même marqué par un drame familial, Kyle conserve une forme de tolérance taciturne, et navigue entre le légal et le moral. Il est méfiant envers les marginaux, mais tant qu’ils ne franchissent pas une ligne claire, il les laisse vivre. Ce regard sur le compromis, la nuance, donne au personnage une densité rare. Globalement, les créateurs de la série réussissent de très belles caractérisations. Ils mettent en scène la complexité du deuil, de la trahison, de la quête de reconnaissance ou encore de la peur de l’autre. L’écriture de Kyle et Jill, son ex-compagne, est particulièrement subtile : leur relation, hantée par la perte, se déploie dans une tension constante. On ressent plus qu’on ne comprend pourquoi ils ne peuvent plus vivre ensemble, tout en étant incapables de se détacher. Rosemarie DeWitt incarne Jill avec une forme de douleur retenue qui résonne fort.
À cela s’ajoutent un rythme maîtrisé, un très bon casting, et une alchimie évidente entre les acteurs. Cette qualité d’interprétation et d’écriture permet de compenser les faiblesses de certaines sous-intrigues, dont certaines sont trop balisées. Le sort de Sean Sanderson, par exemple, est rapidement évident. Mais cela ne veut pas dire que tout est prévisible. Les révélations de Jill dans les derniers épisodes agissent comme une déflagration silencieuse. Moins un pansement qu’on arrache d’un coup qu’une croûte qu’on gratte lentement : ce n’est pas spectaculaire, mais c’est douloureux.
Ici, le parc ne se contente pas d’être un décor : il devient un espace-temps à part entière, greffé de mythes, habité de légendes, doté de sa propre respiration. Cette singularité poétique donne à Une nature sauvage assez de souffle pour dépasser ses faiblesses.