Regarder sans voir

Watcher est une série spirale, où chaque révélation en entraîne une autre, plus vertigineuse.

Tout commence dans un commissariat, en pleine nuit. Yeong Goon, petit garçon en pyjama, est interrogé : son père a disparu. Un instant plus tard, on le retrouve adulte (Seo Kang Joon), en policier blessé dans un interrogatoire borderline mené par Jang Hae Ryong.

Do Chi Gwang (Han Suk Kyu), chef de l’Inspection des Affaires Internes, alerté par sa nouvelle recrue Jo Soo Yeon (Park Joo Hee), intervient. Il recrute Yeong Goon pour enquêter sur Jang Hae Ryong, chef des enquêtes criminelles qu’il trouve bien trop proche du président Kim Sang Joon. L’avocate Han Tae Joo (Kim Hyun Joo), austère et brillante, les rejoint. Ce n’est pas un hasard si ces trois-là s’associent. Le père de Yeong Goon est le dénominateur commun.

Avec Watcher, vous entrez dans les rouages du système policier coréen, gangréné par la corruption à tous les niveaux. Et qui dit série policière coréenne, on retrouve le thème habituel de la corruption mais cette fois on suit ceux qui de l’intérieur traquent les abus. C’est donc, il me semble (ça ne fait que depuis un peu plus de 2 ans que je regarde les séries coréennes) un point de vue assez peu exploré puisqu’ici on suit l’Unité d’Inspection des Affaires Internes.

Cependant, il faut être concentré pour suivre cette série. Les dialogues sont nombreux, l’intrigue foisonne : meurtres entre policiers, preuves falsifiées, drogues en toile de fond et surtout l’ombre d’une société secrète d’agents infiltrés. Les officiers de police qui étaient frustrés par la libération de criminels due à un système légal jugé trop laxiste ont créé un club où ils enquêtaient illégalement, le Jangsa Club (Le Club des Géants) parce qu’ils étaient tous d’accord pour créer une affaire (Jangsa signifiant aussi affaire).

Le scénario mêle habilement complot, passé enfoui et évolution psychologique des personnages. La menace plane constamment. La série joue avec notre perception : ce que l’on croit savoir est souvent faux. Les zones grises sont nombreuses, et les personnages eux-mêmes se trompent.

Watcher joue la carte de la paranoïa et tout le monde soupçonne tout le monde mais elle interroge la mémoire traumatique où l’on refuse de voir ce qu’on a observé. Yeong Goon en ce sens, illustre parfaitement ce que la série nous enseigne. Il cherche la vérité sur le meurtre de sa mère mais il n’arrive pas à se souvenir et vit seul se méfiant de tout et de tous. Y compris des supérieurs. Cette défiance permanente installe une tension psychologique constante. 

Do Chi Gwang, vétéran idéaliste, incarne une intégrité opiniâtre. Ce n’est pas un mauvais flic, mais il n’hésite pas à emprunter des voies illégales au nom de sa quête de justice. Ce n’est pas un hasard s’il choisit Yeong Goon, témoin oublié d’un meurtre qui a tout déclenché.

Han Tae Joo, elle, est passée de l’autre côté. Autrefois menacée de mort après avoir été manipulée dans une affaire de corruption policière, elle cherche désormais la vérité. Froide et indépendante au début, elle s’ouvre peu à peu au travail d’équipe. Elle incarne les dilemmes entre justice et éthique, et la souffrance des lanceurs d’alerte.

La réalisation est soignée. Les scènes de combat, bien que censurées (couteaux floutés, doigts coupés) restent percutantes. Elles alternent efficacement avec des échanges verbaux intenses, où les regards comptent autant que les mots. 

Mon principal reproche : certains épisodes m'ont donné l'impression qu’il ne se passait pas grand-chose. La narration est complexe, parfois opaque. Chaque épisode soulève plus de doutes qu’il ne donne de réponses. Et la fin m’a laissée perplexe dans le sens où je m’attendais à quelque chose d’aussi intense que l’intrigue. À force d’enchaîner les rebondissements, la série perd parfois de sa substance narrative.

L’OST colle parfaitement à l’ambiance : j’ai particulièrement aimé Watchin de Nafla, Blurry de Elli K et Outsider de Lee Seung Yeol.

Côté casting, la confrontation entre Han Suk Kyu et Seo Kang Joon fonctionne à merveille. L’un impassible et méthodique, l’autre sensible et fougueux. Seo Kang Joon prouve qu'il est vraiment très bon face à un Han Suk Kyu qui n'a rien à prouver et dont le charisme fonctionne toujours autant. Leur duo est aussi crédible que magnétique. Ils parviennent à garder leurs personnages dans une ambivalence constante.

Enfin, les seconds rôles comme Jo Soo Yeon (Park Joo Hee) ou Hong Jae Shik (Jung Do Won) apportent une fraîcheur bienvenue.

Watcher est une série solide, bien construite, prenante, mais qui aurait gagné en intensité avec un récit plus resserré. Mon impression reste minoritaire au vu des critiques globalement très positives et des audiences croissantes lors de sa diffusion en Corée. Elle ne révolutionne pas le genre, mais elle le raffine, en déplaçant le regard vers la psychologie, la mémoire, et l’ambivalence morale en choisissant de traiter la corruption comme une contamination insidieuse de la perception, à l’instar des plans vignettés qui nous rappelle la vision obtenue à travers le judas optique, autant que comme un problème structurel.

Nafla : Watchin' https://youtu.be/CHnMZkwgwq0?feature=shared

Elli K : Blurry https://www.youtube.com/watch?v=eOpOSv-KJ2U&list=RDeOpOSv-KJ2U&start_radio=1

Lee Seung Yeol : Outsider https://www.youtube.com/watch?v=_lldH-tXjok&list=RD_lldH-tXjok&start_radio=1